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Culture - Installation

Ouvrir grands les yeux et se retrouver à Palmyre, Mossoul ou Alep...

« Face aux destructions massives infligées ces dernières années au patrimoine arabe, il était important que l’Institut du monde arabe fasse entendre sa voix. »

Projection en réalité virtuelle (Ubisoft VR Experience) de l’église de Mossoul, à l’Institut du monde arabe, créée avec Iconem et Unesco data.

La nouvelle exposition proposée par l’Institut du monde arabe de Paris, « Cités millénaires », offre aux visiteurs une expérience singulière et intégralement virtuelle, en les transportant dans l’espace et dans le temps, au cœur de quatre sites mythiques du monde arabe : Mossoul, Alep, Palmyre et Leptis Magna. « Face aux destructions massives infligées ces dernières années au patrimoine arabe, il était important que l’Institut du monde arabe fasse entendre sa voix. » C’est en ces termes qu’Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du département des expositions de l’IMA et commissaire de la grande exposition actuelle, explique le fondement du projet. « Nous souhaitons donner des éléments de compréhension par rapport à tout ce que l’on a pu voir dans les médias, comme la destruction de Palmyre, et qui a marqué les esprits. L’idée est de contextualiser ces sites meurtris en rappelant leur histoire, leur beauté passée, et ce que symbolise leur disparition. On voit les monuments avant leur destruction, et on met en parallèle des images très récentes. » Le défi est de communiquer la majesté de ces sites antiques, d’où le choix inédit d’une exposition sans œuvres, où de grandes projections entraînent le visiteur au cœur de ces cités. L’ambition est de donner un accès direct aux monuments, restitués en 3D, afin de faire renaître par le numérique des lieux où se sont épanouies des civilisations brillantes.

Le palais du roi Assarhadon

Par une grande carte murale en demi-cercle, le visiteur est d’emblée immergé dans l’espace géographique concerné, accompagné par une musique discrète aux allures de requiem pour cités dévastées. Afin de rendre sensible l’ampleur des dommages subis par le patrimoine de Mossoul, d’immenses vidéos contemporaines sont projetées avec un système de nuage de points qui complète de manière virtuelle la ville décimée. Il s’agit de donner de la matérialité aux monuments détruits. « Ce que nous donnons à voir, c’est la destruction idéologique systématique de certains monuments au cours de l’occupation de la ville par l’État islamique, comme la mosquée al-Nouri, l’église Notre-Dame de l’Heure et bien d’autres encore, jugés hérétiques par les jihadistes », précise Aurélie Clemente-Ruiz. La scénographie s’accompagne de photographies qui défilent sur les murs latéraux, et représentent les sites avant leur destruction.Au-delà des bâtiments, c’est la cohésion de la population multiconfessionnelle (chiite, sunnite, chrétienne, juive, yézidie, turkmène, kurde...) que l’on a voulu anéantir à Mossoul. Avec l’arrivée des jihadistes en 2014, les minorités se sont exilées ou ont été massacrées.

D’autres vidéos donnent la parole à des archéologues, des chercheurs ou des habitants de la ville qui tentent de faire revivre leur patrimoine, comme l’archéologue Faiçal Jeber, cofondateur du Gilgamesh Center for Antiquities and Heritage Protection, ou le père dominicain Najeeb Mickael. Ironie du sort, à l’endroit où le mausolée Nabi Younes a été dynamité, près de l’ancienne Ninive, on a retrouvé les traces du palais du roi Assarhadon, datant du VIIe siècle avant Jésus-Christ, une découverte précieuse, actuellement étudiée par l’université de Heidelberg. Un intermède bienvenu fait la transition entre Mossoul et Alep, dans un espace arrondi aux murs jaunes, où sont notées des citations d’auteurs sur les sites dévastés : Adonis, Ibn Battûta, Volney, Mathias Énard... Puis le visiteur découvre les dommages de la guerre civile sur la ville d’Alep. « Le gouvernement était installé dans la citadelle et bombardait la vieille ville, tenue par les rebelles, qui a été détruite, de même que la mosquée des Omeyyades », commente la commissaire de l’exposition. Plusieurs vidéos, dont le documentaire du photographe et galeriste Issa Touma, nous emmènent à travers la ville, à la rencontre de ses habitants, qui veillent sur elle. La réflexion sur la notion de patrimoine immatériel est intéressante, avec toute la symbolique que portent certains lieux, comme les souks alépins, dont la destruction a fait disparaître des relations humaines constitutives de l’identité des habitants.

Peintures badigeonnées

C’est ensuite l’anéantissement de Palmyre qui est dévoilé : dynamité de manière systématique, le site est dévasté. Seul l’outil numérique permet de distinguer le temple de Baalshamîne, le temple de Bêle ou le théâtre. « On peut parler d’urbicide. L’État islamique a voulu anéantir le passé de la cité antique, et en a fait un outil de propagande. Ils l’ont utilisé comme le théâtre de leur idéologie ; il n’ y a pas d’enjeu à Palmyre, on est dans l’ordre du symbole. » Les nécropoles de la ville ont subi le même sort, sauf la tombe dite des trois frères, qui a servi de base de vie aux jihadistes, et qui a conservé ses magnifiques peintures murales (qu’ils avaient badigeonnées, refusant la notion de peinture figurative).

Face à la vidéo de Palmyre, celle de Leptis Magna, dont la présence n’est pas évidente de prime abord car le site libyen n’a pas subi de destructions à proprement parler. « On a voulu évoquer le conflit libyen qui dure depuis 2011, et rappeler que la cité antique est en danger car peu protégée, et menacée de pillages et d’érosion. L’abandon est une menace insidieuse pour le patrimoine, qui peut être amené à disparaître. Au-delà des pierres, ce sont nos origines et notre histoire qui sont en jeu », explique la directrice du département des expositions. Le voyage se termine par une expérience réalisée avec la collaboration d’ubisoft, un des leaders mondiaux de jeux video, qui a imaginé une visite virtuelle, où on a l’illusion de marcher dans les souks d’Alep, le souterrain Nabi Younes, l’église Notre-Dame de l’Heure, etc, par un travail subtil d’effets spéciaux.

L’exposition « Cités millénaires », que l’on peut visiter jusqu’au 10 février 2019, a jusqu’ici attiré un public très nombreux. « Les gens sont touchés ; ils ne se rendaient pas compte de l’ampleur des dégâts, et il y a une vraie prise de conscience autour du patrimoine. On a de nombreux visiteurs d’une vingtaine d’années, attirés par le côté nouvelle technologie, mais aussi par le sujet », conclut Aurélie Clemente-Ruiz.

Mi-avril, est prévue une nouvelle exposition à l’IMA dans un tout autre registre : football et monde arabe.


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commentaires (1)

Les "destructions massives infligées ces dernières années au patrimoine arabe" ce n'est pas vraiement nouveau. D'abord il y a la difficulté de la terminologie "arabe". Car dans l'article on donne plusieurs exemples de sites romains qui ne sont pas "arabes". On utilise 'arabe' dans cet article dans le sens inclusif, tout ce qui se trouve dans un pays soit-dit "arabe". Un exemple qui me vient à l'esprit c'est le mausolée libyco-punique de Dougga, du site archéologique de Dougga en Tunisie, un pays soit-disant "arabe". D'après wikipedia, en 1842, afin de détacher l'inscription royale (punique) qui l'orne, le consul-général britannique à Tunis, sir Thomas Reade, endommage très gravement le monument ... Depuis des siècles les archéologes ou amateurs-archéologes eux-mêmes endommagent souvent des sites !

Stes David

11 h 23, le 01 janvier 2019

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Commentaires (1)

  • Les "destructions massives infligées ces dernières années au patrimoine arabe" ce n'est pas vraiement nouveau. D'abord il y a la difficulté de la terminologie "arabe". Car dans l'article on donne plusieurs exemples de sites romains qui ne sont pas "arabes". On utilise 'arabe' dans cet article dans le sens inclusif, tout ce qui se trouve dans un pays soit-dit "arabe". Un exemple qui me vient à l'esprit c'est le mausolée libyco-punique de Dougga, du site archéologique de Dougga en Tunisie, un pays soit-disant "arabe". D'après wikipedia, en 1842, afin de détacher l'inscription royale (punique) qui l'orne, le consul-général britannique à Tunis, sir Thomas Reade, endommage très gravement le monument ... Depuis des siècles les archéologes ou amateurs-archéologes eux-mêmes endommagent souvent des sites !

    Stes David

    11 h 23, le 01 janvier 2019

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