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Liban

Porte-étendard de la stigmatisation de l’occupation syrienne

Le père Abou prononçant son discours « Les Colères de l'Université » en 2002.

Dans les jours les plus sombres de l’occupation syrienne, le père Sélim Abou, alors recteur de l’Université Saint-Joseph, avait axé deux de ses plus importants discours prononcés à l’occasion de la Saint-Joseph – la fête patronale de l’USJ –

à la stigmatisation de l’hégémonie imposée par Damas au Liban. Le 19 mars 2002, sous le titre évocateur « Les colères de l’université », il avait dénoncé en des termes particulièrement sévères la « syrianisation » rampante en cours à l’époque au pays du Cèdre, ce qui lui avait valu des attaques frontales lancées par les alliés inconditionnels libanais du régime Assad. Le 19 mars 2003, poursuivant sur sa lancée, le père Abou abordait dans son discours, sous le titre « Les résistances de l’université », les moyens de résister pacifiquement à l’occupation syrienne, prônant notamment sur ce plan la notion de « résistance culturelle » et académique, qui était déjà initiée par les étudiants de l’USJ. Car, pour le père Abou, l’université avait pour vocation, entre autres, d’être le berceau d’une résistance à l’oppression et l’humiliation nationale.

Nous reproduisons ci-dessous les principaux passages de ces deux discours.


« Les colères de l’université »

( …) « La » syrianisation « du Liban n’a pas fini de s’étendre. À l’osmose presque parfaite entre les services de renseignements libanais et syriens s’ajoute une coordination des deux armées, qui est en réalité une subordination de l’une à l’autre. Il fut un temps où nos officiers allaient se spécialiser en France ou aux États-Unis ; depuis plus d’une décennie, ils achèvent leur formation en Syrie avec, en prime, un cours d’endoctrinement baassiste. À la domination militaire se joint une mainmise politique de plus en plus lourde. S’étant assuré (…) une majorité de députés qui lui sont d’autant plus dévoués qu’ils lui doivent leur place, la Syrie s’ingère dans la nomination des ministres. » (…)

(…) « Maîtresse de la politique intérieure du Liban, la Syrie ne laisse aucune initiative à son protégé en matière de politique extérieure. Aussi devine-t-on son irritation au vu du prestige international dont jouit le Premier ministre libanais. Quant au Liban officiel, il n’a pas d’autre stratégie que celle de la Syrie, à cette différence près que celle-ci se contente de tenir un discours politique sommaire et prudent, et laisse à ses alliés circonstanciels du Hezbollah le soin de proférer des discours incendiaires contre les décisions ou les recommandations des instances internationales. » (…)

(…) « La résistance islamique a achevé sa mission, en obligeant l’occupant israélien à évacuer le Liban-Sud, tout comme la résistance chrétienne avait naguère achevé la sienne, en faisant échec au projet américain de transformer le Liban en une patrie de rechange pour les Palestiniens. Il est temps de dépasser ces résistances communautaires à visée nationale, pour s’engager dans une résistance nationale proprement dite, démocratique et consensuelle, visant à libérer le Liban de toute tutelle. Le 19 mars 2001, j’étais heureux de faire état, ici même, de ce consensus anticipé par des personnalités hors pair représentant les grandes communautés historiques – le patriarche Sfeir, Walid Joumblatt, Alia el-Solh, l’imam Chamseddine – ainsi que par certains citoyens courageux relevant de ces communautés. Aujourd’hui le consensus est descendu dans l’arène politique, il s’exprime dans des mouvements politiques tels que le Rassemblement de Kornet Chehwane, le Forum démocratique, le Renouveau démocratique, où l’élément musulman demeure cependant timide, alors que les musulmans – nous le savons et l’entendons en privé – supportent au moins aussi mal que les chrétiens la mainmise syrienne sur la vie politique et économique du Liban. » (…)

(…) « Au terrorisme intellectuel se joignent des menaces et des manœuvres d’intimidation diversifiées. On exerce des pressions et on fait des promesses à certains membres du Rassemblement de Kornet Chehwane pour les amener à se désolidariser du mouvement, on menace les leaders étudiants de prison (…). On distribue, dans certains quartiers musulmans, des tracts appelant à la haine confessionnelle contre les chrétiens, coupables du crime de lèse-protectorat. Enfin, sans craindre le ridicule, on suscite l’apparition, aux abords de certaines mosquées, d’une horde d’encagoulés, armés de gourdins, de couteaux de cuisine et de haches, vociférant contre ceux qui osent demander le retrait des Syriens. “Les haches du dialogue”, écrira joliment Issa Goraieb qui commente : “On aura (...) mis dans le même sac ceux qui réclament l’ouverture d’un pacifique et salutaire dialogue, en vue d’un rééquilibrage des rapports syro-libanais, et ceux qui ont recours à la menace – armée – pour empêcher tout dialogue”. » (…)


« Les résistances de l’université »

(…) « Quel rôle peut aujourd’hui jouer l’université dans la formation d’une culture de résistance face à la culture de servitude qui gagne du terrain ? Trois mots le définissent, qui sont consignés dans la “vision” de l’USJ pour les cinq ans à venir. Il y est dit que l’université doit demeurer un pôle de réflexion, de recherche et d’innovation. La réflexion est l’ennemie des slogans : la réflexion exige un effort intellectuel, le slogan atteste une paresse mentale. » (…)

(…) « La réflexion ne va pas toujours sans recherche proprement dite. Il suffit sans doute de lucidité et de courage pour démystifier le slogan de la déconfessionnalisation politique. Il en va autrement quand il s’agit d’élaborer des projets de réforme relatifs à la société et à l’État : ceux-ci exigent des études théoriques comparées et parfois des enquêtes de terrain. » (…)

(…) « La culture de résistance ne se nourrit pas seulement de réflexion et de recherche, mais aussi et surtout d’innovation. L’innovation suppose que nous nous débarrassions des mécanismes de pensée anciens ou habituels, pour laisser surgir, du tréfonds de nous-mêmes, de cette profondeur où se rejoignent l’intelligence, l’imagination et la sensibilité, des expressions inusitées de nos idéaux, en l’occurrence de nos idéaux patriotiques, susceptibles, par leur qualité et leur originalité, de frapper l’attention du monde libre, de susciter son intérêt pour ce pays arbitrairement occupé par une force étrangère et pour son peuple épris de liberté. Comme je le disais récemment aux membres du bureau de la Fédération des amicales d’étudiants, il y a plusieurs manières de résister à l’oppression : des actions ponctuelles, bien préparées, imprévisibles et spectaculaires, ou des actions symboliques que ne peuvent atteindre ni les crosses des fusils ni les canons d’eau, ou encore des activités intellectuelles susceptibles d’éclairer les options et d’affermir les convictions. J’eus d’autant moins de mal à convaincre les étudiants qu’ils m’avaient, en quelque sorte, devancé. Ils n’avaient qu’à intensifier un effort d’imagination déjà entamé. Qu’il me soit permis, à cet égard, de citer ce qu’écrivait l’un d’eux, Michel Hajji Georgiou, dans L’Orient-Le Jour du 31 décembre : “Les manifestations sont certes un moyen redoutable et nécessaire, et le mouvement estudiantin aura du mal à y renoncer (…). Or, il y a d’autres moyens de résister”. » (…) 

(…) « On oublie qu’à l’époque de la Nahda, la résistance à la tyranie ottomane s’exprimait dans des romans, des poèmes ou des pièces de théâtre, qui emportaient l’adhésion et la solidarité des Français. » (…)

(…) « En Europe centrale sous domination soviétique, les protagonistes de la résistance étaient des écrivains. Je me plais à citer ici les paroles de l’un d’eux, Vaclav Havel, lors de la réception du prix Érasme, éloge de la folie, il disait : “Ce que je recommande ici est le courage d’être fou. Fou dans le plus beau sens du mot”. » (…)

(…) « Qu’il s’agisse de la réflexion destinée à démystifier les slogans dont se nourrit le discours politique, de la recherche nécessaire à la définition d’une vision du Liban libéré et des projets de réforme qu’elle implique ou de l’innovation investie dans toutes les formes de la lutte pour la libération, la résistance culturelle est un des visages essentiels de la résistance politique. Mais celle-ci la déborde. Il ne s’agit certes pas pour nous de résister par les armes, mais par un moyen pacifique parfois plus efficace : la parole, car il ne faut pas sous-estimer le poids que donne aux mots la charge corrosive de la critique, de l’ironie ou de l’humour. » (…)


Dans les jours les plus sombres de l’occupation syrienne, le père Sélim Abou, alors recteur de l’Université Saint-Joseph, avait axé deux de ses plus importants discours prononcés à l’occasion de la Saint-Joseph – la fête patronale de l’USJ –à la stigmatisation de l’hégémonie imposée par Damas au Liban. Le 19 mars 2002, sous le titre évocateur « Les colères...

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