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Culture - Théâtre

N’est-elle pas bouleversante, cette jeunesse libanaise toujours prête à l’envol ?

Un roman arabe devenu un classique qu’élèves et étudiants lisent avec délectation. « Touyour Ayloul » d’Emily Nasrallah, grâce à l’adaptation et mise en scène de Lina Abyad à l’Irwin Hall (LAU), vient encore raffermir la voix de l’écrivaine défunte et élargir son cercle d’amis.

Romantisme désespérant, mariages arrangés, émigration due à la pauvreté et/ou au manque d’ouverture et d’horizon, tout cela est croqué avec vivacité dans « Touyour Ayloul ». Photo Samer Beyhum

Son aventure littéraire a commencé en 1962 lorsque la jeune femme venue des zones rurales libanaises s’est installée dans la capitale. Emily Nasrallah, alors romancière en herbe, était loin de savoir qu’en signant son premier roman Touyour Ayloul, elle allait être l’auteure féminine la plus lue, la plus appréciée, la plus fêtée d’un monde arabe quelque peu rétif à la littérature et à la lecture.

Le succès fut immédiat pour ce roman pourtant simple, mais lesté de plusieurs thèmes. En une même année, une pluie de distinctions l’a saluée dont le Prix Saïd Akl et celui des Amis du livre. Pour un début, on peut bien parler d’un coup de maître (disons maîtresse pour rester dans le vigilant militantisme féministe d’une des plus douces, mais fermes femmes de lettres libanaises du monde arabe).

Aujourd’hui, c’est-à-dire 56 ans après sa première publication, l’ouvrage est adapté et mis en scène par Lina Abyad à l’amphithéâtre Irwin Hall de la Lebanese American University. Une salle comble caquetante où jeunes filles aux cheveux longs et jupes courtes voisinent avec les jeunes « hipsters » barbus et chevelus entourés de dames en foulards, accompagnées de messieurs égrenant leurs passe-temps... Un monde bigarré comme ces lecteurs toutes classes et communautés confondues de la romancière décédée en mars 2018.

Ceux qui s’attendaient à une adaptation linéaire du roman, avec décor carton pâte d’un village calfeutré dans la verdure, ont vite compris que ce n’était pas le cas. Car Lina Abyad, jamais à court d’idées, a d’autres ressources et d’autres tours dans ses manches de prestidigitatrice des levers de rideaux. C’est par le biais d’une sorte d’improvisation de scènes adroitement ficelées qu’elle diffuse « l’esprit » et « l’atmosphère » d’Emily Nasrallah et qu’elle touche la substantifique moelle d’une œuvre qui a tant œuvré pour donner l’image de marque d’un Liban entre tradition et modernité triomphante.

Mise en abîme

La pièce commence sous la férule de Lina Abyad, voix de stentor et tignasse aux cheveux frisottés en l’air, donnant ses directives pour une répétition de théâtre, justement celle de Touyour Ayloul ! Les premières lignes du roman démarrent sur les planches avec ce prétexte de « making of » pour aborder ce village loin du monde, avec ses habitants, ses interdits, ses souffrances... Et surtout ses femmes qui se révoltent déjà d’être asservies aux traditions immuables, aveugles et sclérosées.

Sur une aire scénique presque nue – sauf pour une échelle en fer qui sera à la fois ruine et fenêtre, des projecteurs pour un coin d’ombre ou de lumière – évoluent de jeunes filles et garçons, une vingtaine, en jeans, tee-shirt et espadrilles pour traduire la vie et ses aléas, ses ruptures et ses frustrations. Mais aussi les intermittences du cœur, les départs qui déchirent, l’émigration pour des rêves d’opulence et de bonheur…Entre amours platoniques et furtives (un regard échangé à cette époque était l’objet d’un trouble incommensurable et le signe d’un grand chambardement !), la jeunesse était mise à rude épreuve. Romantisme désespérant, mariages arrangés, émigration due à la pauvreté et/ou au manque d’ouverture et d’horizon, tout cela est croqué avec vivacité, avec la participation d’acteurs qui ont tous le ton juste.

Et déferlent alors les scènes d’un banquet au village, d’une rencontre entre deux amoureux au milieu des vieilles pierres, de la cueillette des olives avec femmes s’adonnant aux présages du marc à café, d’une mère qui force sa fille à épouser un vieux barbon, d’un fils qui s’arrache aux bras de son père voûté à la barbe blanche pour aller vers cette Amérique où les enseignes sont des appels de sirène... Le tout ponctué d’arrêts et d’interventions de la metteuse en scène, parsemés en toute aisance de quelques phrases en anglais, qui donnent à cette création un certain sens ludique et un humour libérateur (marque déposée et force vitale de tout travail de Lina Abyad), au moment où la tension et le drame deviennent insoutenables. Sans oublier l’amour, cet amour nourricier et source de lumière, toujours l’épicentre et le nerf moteur du verbe d’Emily Nasrallah. C’est une véritable gageure et un défi que de proposer de jeter sur scène ce roman bouleversant, poétique et touffu. Lina Abyad a contourné avec tact et un savant dosage tous les écueils en intercalant ces intermèdes charmants et qui prennent souvent à la gorge. Surtout pour la cause des femmes et ces fiévreuses amours intenses qu’on dit interdites aux adolescents…

Avec cette production estudiantine– plus professionnelle que celle des professionnels diront même certains –, Touyour Ayloul n’est pas un remake dramaturgique entier du roman, mais une sorte d’introduction, d’avant-goût et de (re)lecture à la prose frémissante et à l’esprit d’ouverture, de combat, de lucidité, de renouvellement, de modernité et d’humanisme de l’œuvre d’Emily Nasrallah.

Irwin Hall

Le roman « Touyour Ayloul » d’Emily Nasrallah, adapté et mis en scène par Lina Abyad à l’Irwin Hall (LAU). Les 22, 23 et 24 novembre 2018 à 20h30.

Son aventure littéraire a commencé en 1962 lorsque la jeune femme venue des zones rurales libanaises s’est installée dans la capitale. Emily Nasrallah, alors romancière en herbe, était loin de savoir qu’en signant son premier roman Touyour Ayloul, elle allait être l’auteure féminine la plus lue, la plus appréciée, la plus fêtée d’un monde arabe quelque peu rétif à la...

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Jeunesse libanaise comme une rose ... Quand la rose s'entr'ouvre, heureuse d'être belle, De son premier regard elle enchante autour d'elle Et le bosquet natal et les airs et le jour. Dès l'aube elle sourit ; la brise avec amour Sur le buisson la berce, et sa jeune aile errante Se charge en la touchant d'une odeur enivrante ; Confiante, la fleur livre à tous son trésor. Pour la mieux respirer en passant on s'incline ; Nous sommes déjà loin, mais la senteur divine Se répand sur nos pas et nous parfume encor.

Sarkis Serge Tateossian

01 h 45, le 21 novembre 2018

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  • Jeunesse libanaise comme une rose ... Quand la rose s'entr'ouvre, heureuse d'être belle, De son premier regard elle enchante autour d'elle Et le bosquet natal et les airs et le jour. Dès l'aube elle sourit ; la brise avec amour Sur le buisson la berce, et sa jeune aile errante Se charge en la touchant d'une odeur enivrante ; Confiante, la fleur livre à tous son trésor. Pour la mieux respirer en passant on s'incline ; Nous sommes déjà loin, mais la senteur divine Se répand sur nos pas et nous parfume encor.

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 45, le 21 novembre 2018

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