14 novembre 2018-18 janvier 2016. Deux réconciliations historiques, entre une même partie et deux partenaires différents, avec, pour toile de fond, la guerre libanaise et ses épisodes sanglants, notamment au sein de la communauté chrétienne. Ceux qui ont assisté à la cérémonie de mardi à Bkerké ne pouvaient que se rappeler celle qui s’était déroulée à Meerab près de trois ans plus tôt. Pourtant, au niveau des organisateurs, tout avait été fait pour montrer qu’il s’agit de deux événements différents, tant sur le plan des protagonistes que sur celui de la portée.
En effet, le caractère dominant de la réconciliation de Meerab était politique, alors que celle de Bkerké se voulait placée sous le signe de la morale et de la spiritualité. Dans ce contexte, le choix du lieu est à lui seul un message et un symbole. Le 18 janvier 2016, le général Michel Aoun, alors chef du bloc du Changement et de la Réforme, s’était rendu au siège du leader des Forces libanaises Samir Geagea à la tête d’une importante délégation pour l’annonce officielle de ce qui a été appelé « l’entente de Meerab ». Le 14 novembre 2018, Sleiman Frangié et Samir Geagea sont arrivés séparément à Bkerké, à la tête de deux importantes délégations de conseillers, proches et partisans, pour consacrer leur réconciliation sous la houlette du patriarche maronite Mgr Béchara Raï. C’est d’ailleurs un évêque, Mgr Joseph Naffah, qui a lu le texte final de la réconciliation entre le chef des Marada et celui des Forces libanaises, alors que les grandes lignes de « l’entente de Meerab » ont été lues par Aoun ayant à ses côtés Geagea.
Toutes ces différences ont été voulues par les organisateurs, pour éviter justement les comparaisons et surtout pour que nul ne dise que le sort de la réconciliation de Bkerké pourrait ressembler à celui de « l’entente de Meerab », qui, à bientôt trois ans d’existence, a montré ses limites.
Dans ce contexte, on peut dire aussi que le timing a été minutieusement choisi. Si, pour « l’entente de Meerab », il était clairement lié à l’échéance présidentielle, les protagonistes de « la réconciliation de Bkerké » ont soigneusement choisi une période postélectorale pour ne pas être accusés de vouloir exploiter cette occasion à des fins politiques. Même si le chef des Marada a récemment déclaré dans un entretien télévisé que ce qui le pousse à se rapprocher du chef des Forces libanaises, c’est bien la personnalité de celui du CPL.
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Simple hasard ou concomitance voulue, la « réconciliation de Bkerké » a eu lieu au moment où Gebran Bassil, devenu ouvertement le rival des deux leaders, mène une médiation importante pour résoudre « le nœud sunnite » qui entrave la formation du gouvernement, avec les différentes parties concernées. Par cette médiation, M. Bassil, que certains présentaient comme une personne au caractère difficile, incapable de dialoguer avec les autres, a donné une toute autre image de lui en apparaissant comme l’homme capable de parler avec les camps en conflit, qu’il s’agisse du Hezbollah, du président de la Chambre, du Premier ministre désigné, du mufti de la République, des députés sunnites du 8 Mars ou encore de Walid Joumblatt et des cadres du PSP et du Bloc démocratique. Les proches de Frangié et de Geagea ont certes affirmé que la date de la rencontre était prévue à l’avance, avant que Gebran Bassil ne décide de mener sa médiation gouvernementale. Il n’en reste pas moins que, pour une grande partie des médias locaux, la rencontre de Bkerké a fait passer au second plan les réunions de M. Bassil.
Quoi qu’il en soit, les deux parties qui se sont réconciliées à Bkerké, mercredi, ont tenu à ne pas évoquer les questions politiques et à donner à leur rencontre une dimension morale et spirituelle. Il faut dire aussi que la circonstance s’y prête. Entre les Marada et les Forces libanaises, il ne s’agit pas d’une réconciliation entre deux parties qui se sont fait la guerre et qui se sont battues l’une contre l’autre, comme c’était le cas entre les partisans du général Aoun et ceux des Forces libanaises, lors des affrontements de 1989 et 1990. Au contraire, dans ce cas précis, il y a une victime et un bourreau présumé, car même si la tuerie d’Ehden est considérée comme un épisode de la guerre civile et qu’elle a été précédée par des assassinats de responsables des deux camps, elle n’en reste pas moins une séquence odieuse de la guerre. Par conséquent, la réconciliation entre la victime et le bourreau présumé ne peut pas ne pas avoir d’abord une dimension morale et spirituelle, consacrée par la présence du chef de l’Église maronite. Cette réconciliation, officialisée par les médias mercredi, a d’ailleurs été précédée par une série de rencontres bilatérales entre les représentants des deux camps qui ont préparé le terrain à ce moment très émouvant, qui met un terme à un épisode douloureux à la fois pour le Liban-Nord, pour les chrétiens et pour les Libanais en général.
C’est pourquoi face à la dimension affective de cet événement, il était difficile pour les deux parties de se lancer dans des considérations politiques, ne serait-ce que par égard pour les proches des victimes tombées dans le cadre de cet épisode sanglant. Il faudra donc attendre un peu avant de pouvoir mesurer les conséquences de cette réconciliation, d’abord sur le terrain, au niveau des bases respectives des Marada et des Forces libanaises et ensuite sur le plan purement politique pour voir si l’on pourra parler d’une alliance entre deux composantes chrétiennes face au CPL et à son chef. À ce stade, on ne peut toutefois que saluer une telle initiative qui vise à panser une des plus tristes blessures de la longue guerre qui a déchiré le Liban. De « l’entente de Meerab » à « la réconciliation de Bkerké », l’une après l’autre, les pages de la guerre sont en train d’être tournées.
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La réconciliation saluée de toutes parts
commentaires (5)
Bof ... tout ça pour dire juste quelque phrase !! Comme d’hab quoi
Bery tus
20 h 57, le 16 novembre 2018