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Coulisses du Goncourt étudiant : préparation et commentaire

Hoda Rizk Hanna.

Elles sont quinze et elles ont toutes décidé de prendre part à la passionnante aventure du Goncourt étudiant. Le témoignage de Hoda Rizk Hanna, professeure de littérature française et comparée à l’Université libanaise.

Nos réunions ont lieu tous les samedis au département de français, à la faculté des lettres de l’Université libanaise, à Fanar. Chaque étudiante est censée présenter l’auteur et le livre qu’elle a choisis parmi les œuvres en lice pour le Prix Goncourt. Une expression orale fluide, des idées pertinentes et un brin d’assurance sont les conditions requises pour le choix d’un chef de jury élu à main levée.

Notre chef sera l’ambassadeur de notre faculté au Salon du livre francophone le 9 novembre. Elle aura pour mission de défendre le roman que les 15 membres de notre jury auront désigné comme lauréat après un vote solennel, bulletins et urne à l’appui.

Ce choix fait l’objet, tous les ans, de débats animés au cours desquels l’on apprend surtout à écouter autrui et à conforter ses opinions par des arguments adéquats. J’avoue que je ne me lasse pas d’écouter les propos échangés dans ces mini-salons littéraires dont le choix Goncourt de l’Orient organisé par l’AUF est le catalyseur et le prétexte.

Les thèmes de cette nouvelle fournée de romans lus, relus et triés sur le volet par les membres de l’éminent jury en cette année 2018 mettent en exergue des préoccupations communes aux citoyens de toutes les nations. Le souci de défendre les libertés, le droit de l’individu à la dignité et au respect, quels que soient sa nationalité, son âge, son sexe et son statut social, affleurent dans tous les récits.

On y apprend comment protéger un petit frère quand on vit sous la coupe d’un père violent et alcoolique (La vraie vie). On finit par s’abstenir de juger une mère obligée d’abandonner son enfant à sa naissance (Dix-sept ans).

On prend le temps de revisiter les péripéties de la grande histoire à travers la petite histoire vécue par le personnage principal. Ainsi dans La vérité sort de la bouche du cheval, l’histoire d’une prostituée permet à la narratrice d’observer au quotidien les habitants d’un quartier marocain. La mort d’un adolescent maghrébin dans le métro parisien permet à Gilles-Martin Chauffier de passer au crible les manipulations et l’hypocrisie d’une administration opportuniste peu soucieuse de découvrir les vrais coupables (L’ère des suspects).

Les grèves et les bouleversements des années 70-80 en Angleterre, l’échec du Parti travailliste, la notoriété croissante de la dame de fer et surtout le désarroi des citoyens abandonnés à leur sort par un pouvoir capitulard sont relatés du point de vue de Candice, qui traverse les rues de Londres sur sa moto pour livrer du courrier et payer ses cours de théâtre (L’hiver du mécontentement).

L’asservissement des artistes par le pouvoir en Chine est dénoncé à travers l’itinéraire d’un personnage ambitieux qui brigue et obtient la carte du parti, devient peintre du nouveau régime, mais se retrouve prisonnier des desseins de ses maîtres (Maîtres et esclaves).

Les traumatismes de guerre, les sévices vécus par deux Sénégalais enrôlés dans l’armée française durant la Première Guerre mondiale nous sont révélés à travers le comportement insolite et violent du soldat Alfa Ndiaye, incapable de faire son deuil après la mort atroce de son meilleur ami dans les tranchées, pour une cause absurde qui n’est pas la sienne (Frère d’âme). Et pour souligner le redoutable pouvoir des services secrets jadis, dans l’Allemagne de l’Est, le personnage du roman dans Hôtel Valdheim s’avère être un pion que les réseaux d’espionnage utilisent à son insu pour piéger un groupe d’historiens dissidents.

Une thématique corporelle nouvelle s’affirme de plus en plus dans les écrits contemporains. La sexualité féminine trouve désormais un exutoire dans le roman. Le corps de la femme peut avouer librement son désir et rechercher sa plénitude aussi bien auprès d’une femme aimée qu’auprès d’un amant (Ça raconte Sarah). Il peut également dire tout haut, voire hurler sa révolte et ses souffrances, après un viol traumatisant qui assène un coup fatal à la vie de couple et plonge sa victime dans un doute mortel (Les malheurs du bas).

Face à ces récits désabusés dont les auteurs miment le réel pour le miner, deux écrivains tentent de suggérer des solutions, mais il s’agit de solutions insolites. Ainsi l’éruption de la Montagne Pelée au nord de la Martinique viendrait à bout de la corruption dans la ville de saint Pierre dans 90 secondes, cette petite ville des Antilles sera réduite à un décor d’apocalypse. Toutes les cités corrompues où sévit le mal, où règnent violence, cupidité, lubricité et trahison ne devraient-elles point subir le même sort en vue du grand chambardement ?

Il y aurait peut-être une autre solution lorsqu’un jeune immigré polonais, doué de pouvoirs surnaturels, fait irruption à Paris, boulevard Arago. Découvert et apprivoisé par un ethno-psychiatre blasé, à court de motivations, il est présenté par la narration comme un sauveur en puissance, un messie qui viendrait exorciser les maux de la planète (L’Évangile selon Youri).

La perspective peut séduire et répondre à l’attente d’une multitude, mais un personnage de roman n’existe qu’à travers des mots. Youri est un être de papier et on ne peut lui confier ce rôle sotériologique, cette mission impérative d’arracher notre univers aux forces obscures qui le régissent aujourd’hui.

Ce rôle serait plutôt dévolu à ces jeunes lecteurs venus de tout le Moyen-Orient pour dialoguer, discuter, et réaliser à l’unisson un projet bénéfique et salutaire.

Hoda RIZK HANNA,

professeure de littérature

française et comparée à

l’Université libanaise



Elles sont quinze et elles ont toutes décidé de prendre part à la passionnante aventure du Goncourt étudiant. Le témoignage de Hoda Rizk Hanna, professeure de littérature française et comparée à l’Université libanaise.Nos réunions ont lieu tous les samedis au département de français, à la faculté des lettres de l’Université libanaise, à Fanar. Chaque étudiante est censée...

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