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Culture - En salle

Rire pour vivre plus longtemps

Après « Zinnar el-nar » (2003) et « Chatti ya dini » (2010), le réalisateur de fictions et documentariste Bahij Hojeij choisit pour son dernier opus, « Good Morning », de filmer en huis clos.


Bahij Hojeij sur le plateau de tournage.

Angoissant, drôle, innovant ou maîtrisé, le huis clos reste au cinéma un exercice extrêmement difficile mais susceptible de déboucher sur de très bons films. Il s’agit d’une situation qui, sous couvert d’intimité, est verrouillée et où la totalité du film se déroule dans un seul lieu. Mettre en relation des personnages et les « obliger » à communiquer n’est pas qu’une manière de créer un drame psychologique, mais une porte ouverte sur des scènes souvent très drôles. Le huis clos a cette particularité de contenir les acteurs dans un même espace et de renforcer la sensation d’urgence du spectateur, qui se demande parfois quand il pourra sortir. Sauf que dans Good Morning, on n’a envie de sortir ni du café (où se passe l’action) ni de la salle, mais plutôt de prolonger ce moment délicieux, cet aparté entre deux grands acteurs, Gabriel Yammine et Adel Chahine, qui se donnent la réplique comme s’ils se donnaient la main pour leur dernier voyage.

Le réalisateur et coscénariste Bahij Hojeij profite de ce huis clos pour mettre en place un rythme, des répliques cinglantes et des situations cocasses. Il parvient à tenir le spectateur en haleine avec des situations, au bout du compte assez banales. La comédie étant en très grande partie fondée sur le rythme, le metteur en scène réussit à éviter les longueurs et à se concentrer sur l’essentiel, cette belle histoire d’amitié contée avec pudeur. Le texte original est élaboré à quatre mains avec Rachid el-Daïf, romancier et poète libanais, qui a déjà collaboré avec le cinéaste. Basé sur son roman al-Mustabid, celui-ci avait auparavant adapté son film Zinnar el-Nar.


Vies croisées
Selon Christian Bobin, écrivain et poète français, « toute notre vie se passe à rentrer chez nous ». Sauf que ces deux retraités, le docteur incarné par Gabriel Yammine et le général par Adel Chahine, un tandem qui fonctionne en code et se comprend à demi-mot, n’ont plus envie de rentrer chez eux. L’un est attendu par la contrariété (une épouse qui passe son temps à le réprimander) et l’autre par la maladie (une femme qui perd la mémoire). Alors ils se retrouvent tous les jours à la même heure au café du coin, ramassent tous les quotidiens de la ville, ne lisent aucune nouvelle et passent leur matinée à faire des mots croisés et à refaire le monde. Yammine connaît presque toutes les réponses, les souffle de temps en temps à son compère et Chahine se laisse prendre au jeu : surtout ne pas oublier, surtout ne pas laisser le temps les devancer, grignoter les quelques neurones qui leur restent et anéantir leurs souvenirs. Alors en quatre lettres, comme avec le R, ils visitent Rome. F est une occasion, en cinq lettres, de se remémorer les chansons d’une grande artiste. Quant à la lettre A, elle suggère, en cinq lettres, ce sentiment qui vous étreint un jour mais vous lâche très vite. Gabriel Yammine est ténébreux et réfléchi, Adel Chahine drôle et farceur, il aime raconter des blagues à qui veut les entendre. Ou pas. Il aborde les clients au risque de les agacer, leur chante une chanson, leur narre une histoire drôle, l’air de dire je suis encore vivant.


Pignon sur rue
Le décor ? Un petit café de Beyrouth à l’étage, avec ses habitués. Parmi eux, un jeune journaliste (Rodrigue Sleiman) qui prend son café tous les matins face à son ordinateur, espérant un rendez-vous à l’arraché avec la jeune et jolie serveuse, interprétée par Maya Dagher. La caméra ne sort jamais du café « lequel, dit Bahij Hojeij, est le 5e personnage du film ». Comme seule ouverture sur le monde extérieur, une baie vitrée qui donne sur la rue où, entre un mot trouvé et une expression laissée sur le bitume, les passants et les images de leur quotidien parviennent au spectateur à travers le regard des deux vieux. Alors tout y passe ; la démarche de la dame blonde plus alerte que la veille, le chien traîné par la domestique pendant que madame se fait masser, les conducteurs sans vergogne qui prennent un sens interdit, le camion-poubelle qui, lui, prend son temps, dédaignant les klaxons en rage. Et le spectateur entre dans leur intimité, traverse leur vie, visitant au passage les enfants au Canada ou dans les pays arabes, ou encore le dernier copain décédé qu’il faut aller honorer une dernière fois.

Pour Bahij Hojeij, le cinéma ne s’est pas assez penché sur cette tranche de vie qu’est le troisième âge, avec ses angoisses, sa mémoire balbutiante et sa démarche défaillante. On remarque donc que le thème de la démarche est récurrent, au cœur de ce petit récit. Le général et le docteur décryptent l’allure de chaque passant, s’y comparant de temps en temps, non sans une note nostalgique. Good Morning, avec ses titres à chaque chapitre du film, se laisse savourer comme un livre dont on n’a pas envie de voir venir la fin. Servi par de grands acteurs, il est une parenthèse délicieuse, un clin d’œil comme pour dire à tout un chacun : « Un jour, vous aussi serez vieux. Ne l’oubliez pas… »


À SAVOIR

- La musique est composée par Wissam Hojeij, le fils du metteur en scène à qui son père a demandé de produire une musique avec 4 instruments à l’image des 4 principaux personnages ; la clarinette, le violoncelle, la guitare et le oud.

- Adel Chahine, professeur de théâtre à l’Université Libanaise, n’a joué que dans 2 films. Good Morning était son premier rôle. Il est décédé avant la sortie du film.


Pour mémoire
Bahij Hojeij, faiseur de pluie et de beau temps


Angoissant, drôle, innovant ou maîtrisé, le huis clos reste au cinéma un exercice extrêmement difficile mais susceptible de déboucher sur de très bons films. Il s’agit d’une situation qui, sous couvert d’intimité, est verrouillée et où la totalité du film se déroule dans un seul lieu. Mettre en relation des personnages et les « obliger » à communiquer n’est pas...

commentaires (1)

Beautiful article, very well written

Nammour JP

08 h 58, le 25 octobre 2018

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Commentaires (1)

  • Beautiful article, very well written

    Nammour JP

    08 h 58, le 25 octobre 2018

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