Colère à Ehden : « Restaurez la place de la cathédrale, et allez construire des parkings ailleurs ! »

À Ehden, au Liban-Nord, l’été prend fin mais le soleil s’obstine à tirer sa révérence. Pour ceux qui sirotent un jus d’orange sur les terrasses des cafés-trottoir de la place Midane, une journée chaude à la fin de l’été est un véritable cadeau. Mais pour les Ehdéniotes rassemblés au cœur du centre-ville pour protester contre un projet d’aménagement d’un parking sous la cathédrale Saint-Georges d’Ehden, le soleil est plombant.

La cathédrale est perchée sur une petite colline appelée familièrement « Ketlé » (colline en cananéen), au cœur du Midane, le centre-ville d’Ehden. L’église est actuellement menacée par un projet d’aménagement d’un parking sous cette colline historique. Il prévoit l’excavation du site et suppose donc en un premier temps le démantèlement des murs d’enceinte de la colline puis leur reconstruction à l’identique une fois le parking aménagé. Dans ce cadre, il convient de préciser qu’une partie du mur antique entourant la colline doit être restaurée, et qu’une partie du financement a été assurée par le Haut Comité de secours.

Envisagé par la paroisse de Zghorta-Ehden, propriétaire du terrain, qui est un waqf (bien religieux), le parking, prévu pour 170 véhicules, devrait régler le problème des embouteillages durant la haute saison estivale (juillet et août) de ce coquet village.

« Un projet dévastateur

à tous les niveaux »

Environ cent personnes se sont rassemblées sur la place Midane, à quelques pas de la cathédrale Saint-Georges d’Ehden, pour protester contre le projet qui la menace. « Oui à la restauration ! Non à l’excavation », « Restaurez le mur et allez construire des parkings ailleurs »… peut-on lire sur les pancartes portées par les protestataires. Trois jeunes filles, un sourire timide aux lèvres, portent une pancarte sur laquelle est écrit : « Non à l’effacement de notre mémoire ».

« Si le mur de la Ketlé risque de s’effondrer, je comprendrai à ce moment que le Haut Comité de secours intervienne. Il est vrai que le mur a besoin d’être restauré, mais il n’y pas de risque et rien n’est urgent », précise Riad Ghazalé, ingénieur civil et consultant. « Le Haut Comité de secours n’a pas la prérogative de financer un projet commercial à but lucratif », ajoute-t-il.

« Sur un autre plan, la municipalité œuvre depuis quelques années pour transformer la place Midane en une zone piétonne », rappelle-t-il, avant d’enchaîner : « Ce projet va à l’encontre de la politique mise en place par la municipalité. » « De surcroît, deux parkings sont en cours de construction à la périphérie de la place, je ne vois donc pas pourquoi le projet d’aménagement d’un troisième est présenté par la paroisse comme une nécessité », ajoute M. Ghazalé. Selon l’ingénieur, un des deux parkings est financé par le ministère des Travaux publics, ce qui devrait encourager le comité du waqf à investir son argent dans un véritable projet de développement. Dans un rapport publié par M. Ghazalé, celui-ci met en garde contre le risque de voir la cathédrale s’effondrer. « Il y a eu des bâtiments qui se sont écroulés à Ehden. J’ai présenté une étude scientifique sur ce sujet, qu’on me réponde scientifiquement », se plaint-il.

Marina Araïji, une activiste, dénonce un « projet qui a été parachuté par les responsables de la paroisse. Mgr Estéphan Frangié, responsable de la paroisse, avait déjà dit qu’il n’attendait pas l’obtention d’un permis pour réaliser le projet, parce qu’il bénéficie d’une couverture politique. Quel modèle est-il en train d’offrir aux habitants de Zghorta-Ehden » ? L’Orient-Le Jour a essayé de prendre contact avec Mgr Frangié, qui s’est avéré être à l’étranger. « Avec l’élection de deux nouveaux députés zghortiotes qui se veulent jeunes et favorables au changement, Michel Moawad et Tony Frangié, le débat autour de ce projet ou de n’importe quel autre est supposé être rehaussé à un niveau beaucoup plus élevé que les histoires de pistons politiques », insiste Mme Araïji. « De toute façon, la prévalence des intérêts privés au détriment de l’intérêt public s’est de plus en plus normalisée à Zghorta et à Ehden, qu’il s’agisse de l’hôtel Mist, bâti sur le mont Saints-Sarkis-et-Bakhos, ou encore du projet de parking qui avait été envisagé pour le mont Saydet el-Hosn, et ce en raison de couvertures politiques dont bénéficient les promoteurs de ces projets », déplore-t-elle.

« Loin de toute exagération, le projet est dévastateur », lance Samih Zaatar, photographe opposé à la démarche. « C’est un projet de falsification du patrimoine qui prévoit de vider la Ketlé de son intérieur, de son âme, rien que pour construire un parking et un centre commercial », martèle-t-il. « Selon l’avis d’experts ayant examiné le projet, l’excavation de la butte est extrêmement dangereuse pour la cathédrale et les mesures à prendre pour protéger le bâtiment d’un effondrement fatal sont très coûteuses », ajoute-t-il.

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