C’est une visite qui devrait annoncer l’ouverture d’un nouveau chapitre dans les relations entre la Turquie et l’Allemagne. Pour la première fois depuis son accession à la présidence turque en 2014, Recep Tayyip Erdogan doit se rendre aujourd’hui en Allemagne pour une visite officielle de trois jours. Il doit d’abord atterrir à Berlin où il sera reçu par son homologue allemand, Frank-Walter Steinmeier, avant de rencontrer la chancelière Angela Merkel.
« Le premier objectif de cette visite est de mettre définitivement fin à la période (de tensions) que nos relations bilatérales ont traversée ces dernières années », a déclaré dimanche le dirigeant turc. Les sujets de discussion porteront sur « la coopération germano-turque dans les domaines politique, économique, de défense, sécuritaire, culturel et social ainsi que sur les sujets liés à la communauté turque en Allemagne », a annoncé de son côté la présidence turque.
Pour Ankara, réchauffer ses liens diplomatiques avec ses partenaires de l’Union européenne, notamment Berlin, est nécessaire alors que sa relation avec Washington s’est drastiquement dégradée au cours de l’année, suite au refus américain d’extrader le prédicateur turc, Fethullah Gülen, bête noire de M. Erdogan, et la détention du pasteur américain Andrew Brunson en Turquie depuis les purges de 2016. Alors que la Turquie et l’Allemagne sont dans le viseur de l’administration Trump, notamment sur le plan économique, « il y a une fenêtre d’opportunité qui s’est ouverte pour améliorer les relations turco-allemandes et turco-européennes », souligne Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et spécialiste de la Turquie, contacté par L’Orient-Le Jour.
Sur le plan interne, Ankara traverse une grave crise économique et la Turquie pourrait bénéficier de l’appui de l’Allemagne, son partenaire commercial le plus important. Selon le ministère allemand des Affaires économiques et de l’Énergie, le volume de leurs échanges commerciaux s’élève à 37,7 milliards d’euros. Depuis le début de la crise financière turque, « l’Allemagne n’a cessé de répéter qu’elle tenait à ce que la stabilité économique de la Turquie soit préservée. Je pense que c’est plus qu’une visite protocolaire, c’est une visite qui est dominée par une vraie volonté politique de se rapprocher », estime M. Marcou.
(Pour mémoire : L'Allemagne et la Turquie veulent reprendre un dialogue étroit)
« Nouvelle ère politique »
Entamer un réchauffement de leurs relations s’avère cependant délicat pour les deux pays, compte tenu des rapports houleux qu’ils ont entretenus ces dernières années. En mars 2017, M. Erdogan avait comparé la décision allemande d’annuler des meetings de soutien au référendum turc pour l’élargissement de ses pouvoirs et le refus de permettre à des politiques turcs de venir faire campagne en Allemagne à des « pratiques nazies », provoquant ainsi la colère de Berlin. Plus récemment, une photo du président turc et du footballeur international allemand, Mesut Özil, avait provoqué un tollé dans le pays. Ce dernier a ensuite annoncé en juillet dernier se retirer de la sélection de l’Euro-2024 de football et ne plus souhaiter jouer pour l’Allemagne, accusant la Fédération allemande de football de racisme. Une décision qui a été publiquement appuyée par M. Erdogan qui a estimé que M. Özil n’avait « rien à regretter ».Ces éléments sont venus verser un peu plus d’huile sur le feu des relations turco-allemandes, déjà tendues depuis les purges effectuées par Ankara suite au coup d’État raté de 2016 au cours desquelles un journaliste allemand a été arrêté. Sept ressortissants allemands sont toujours en détention en Turquie. « Les relations turco-allemandes se sont dégradées dans un contexte mouvant » mêlant le coup d’État de 2016 et le référendum turc de 2017, observe M. Marcou. Aujourd’hui, « on est dans une nouvelle ère politique et le problème pour l’Allemagne n’est plus de s’opposer à cet autoritarisme politique (turc) ou d’essayer de le contrecarrer mais de savoir quelle relation elle va établir avec cette Turquie nouvelle », poursuit-il. Selon le spécialiste, « l’idée de l’Allemagne est de prendre acte de cette évolution, sans renoncer aux critiques, et d’établir des relations mutuelles acceptables dans le cadre de ce nouveau contexte ».
(Lire aussi : Entre Paris et Ankara, une relation en dents de scie...)
« Propagande d’Erdogan »
Les liens interétatiques entre Berlin et Ankara sont d’autant plus importants que 3,5 millions de personnes d’origine ou de nationalité turque vivent en Allemagne. À cet égard, M. Erdogan doit inaugurer samedi une mosquée à Cologne, financée par l’Union des affaires culturelles turco-islamiques (DITIB), et rencontrer des membres de la communauté turque en Allemagne.
Les sujets portant sur « les développements régionaux et mondiaux, en particulier ceux concernant la Syrie, la coopération dans la lutte contre le terrorisme et la migration irrégulière, les relations Turquie-UE et d’autres questions qui préoccupent les deux pays seront également à l’ordre du jour », a précisé la présidence turque. Des sujets qui concernent particulièrement Ankara et Berlin qui ont accueilli respectivement 3 millions et un million de réfugiés syriens. Tous deux souhaitent limiter leur afflux alors que la menace d’une offensive du régime et de son parrain russe plane sur Idleb, le dernier grand bastion rebelle de Syrie, où se trouvent quelque 1,5 million de déplacés.
Malgré la volonté de M. Erdogan de raviver la flamme avec Berlin, sa visite est loin de faire l’unanimité en Allemagne alors que des voix se sont élevées pour protester contre sa venue et que des manifestations seront organisées au cours de ces trois jours dans la capitale allemande et à Cologne, où de nombreux Kurdes sont attendus. Le correspondant germano-turc du quotidien Die Welt, Deniz Yücel, a estimé pour sa part que Berlin « trahit tous ceux qui aspirent à une société libre, démocratique et laïque ». Différents leaders politiques ont également refusé de se rendre au dîner organisé vendredi soir en l’honneur du président turc au Château de Bellevue. Le président fédéral du Parti libéral-démocrate (FDP), Christian Lindner, a expliqué avoir pris cette décision car il « ne prendra pas part à la propagande d’Erdogan ». La chancelière allemande ne sera pas présente également mais aucune explication officielle n’a été fournie à cet égard.
Pour mémoire
Erdogan tend un rameau d’olivier à l’Allemagne et l’UE
commentaires (3)
IL A INSULTE POUTINE PUIS IL EST ALLE LUI DEMANDER PARDON ET COOPERATION. IL A INSULTE MERKEL ET IL EST LA POUR LUI DEMANDER PARDON ET COOPERATION. UN TRAPEZISTE DE MAUVAIS AUGURE !
LA LIBRE EXPRESSION
15 h 02, le 27 septembre 2018