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Moyen Orient et Monde - Irak

À Bassora, les habitants ont atteint le point de rupture à l’égard des pouvoirs

Au moins 22 manifestants ont été tués, depuis juillet, dans les heurts avec les forces de l’ordre.

Des manifestants autour du siège du gouvernorat, hier, à Bassora. Essam al-Sudani/Reuters

Face à la colère des habitants de Bassora qui ne faiblit pas, le chef chiite Moqtada Sadr, actuellement au Liban, selon des sources interrogées par L’Orient-Le Jour, a appelé le Parlement hier à tenir une séance extraordinaire « au plus tard dimanche » et à demander au gouvernement des « solutions radicales et immédiates » pour mettre un terme à la crise sanitaire qui ne cesse d’empirer.

Lors de son allocution télévisée, le vainqueur des législatives de mai a sollicité la présence du « Premier ministre, des ministres de l’Intérieur, de la Santé, de l’Habitat, des Ressources hydrauliques et de l’Électricité » et d’autres responsables de Bassora lors de cette séance parlementaire. « Qu’ils quittent leurs postes » si ces derniers ne sont pas en mesure de gérer la crise, a estimé M. Sadr avant d’ajouter qu’en attendant, « nous appelons à des manifestations de colère pacifiques à Bassora ».

Située dans le Sud-Est irakien, la troisième ville du pays, après Bagdad et Mossoul, est le théâtre de violentes manifestations depuis deux mois pour dénoncer les conditions de vie catastrophiques au quotidien, le chômage et la corruption qui gangrène la classe politique. Les protestataires pointent du doigt l’incapacité des institutions étatiques à gérer les infrastructures hydrauliques et électriques alors que la province compte plus de deux millions d’habitants. Depuis la mi-août, plus de cinq cents personnes ont été hospitalisées après avoir consommé de l’eau courante devenue saumâtre.

Les manifestations pour dénoncer la mauvaise gestion des infrastructures publiques et la corruption ne sont cependant pas nouvelles dans le pays, notamment dans le Sud, à majorité chiite. Les habitants de la province de Bassora et ses alentours avaient massivement participé aux protestations populaires qui ont balayé le pays en 2015, mettant en avant les mêmes griefs que ceux d’aujourd’hui.

« La situation est précaire depuis très longtemps. Mais je pense que l’on a atteint le point de rupture, les gens ne supportant plus de vivre comme cela », estime Myriam Benraad, professeure de sciences politiques à l’université de Leyde et spécialiste de l’Irak, interrogée par L’Orient-Le Jour. « Ce qui a aggravé la situation, c’est la réaction inconsidérée du gouvernement, les forces de l’ordre tuant et blessant des dizaines de manifestants, dont beaucoup revenaient tout juste de leur volontariat pour combattre les terroristes de l’État islamique », explique à L’OLJ Abbas Kadhim, un chercheur américano-irakien basé à Washington.

L’annonce du déblocage de trois milliards de dollars pour aider la province, suite à la visite en juillet du Premier ministre irakien Haider al-Abadi, n’a pas permis de calmer la colère des habitants. Sur le terrain, la tension continue de monter, accentuée par les violents affrontements ayant opposé les manifestants aux forces de l’ordre ces derniers jours. Dès le début des contestations, M. Abadi avait exigé des autorités irakiennes de ne pas tirer sur des manifestants non armés, une instruction réitérée cette semaine après avoir ordonné « qu’aucune balle réelle ne soit tirée » sur la foule. Un protestataire a toutefois été tué mercredi soir après avoir reçu une balle des forces de l’ordre, et 25 ont été blessés. Au total, au moins 22 manifestants ont été tués depuis juillet tandis que 22 membres des autorités irakiennes ont été récemment blessés, ont affirmé à l’AFP des sources médicales proches des services de sécurité. Hier, des milliers de manifestants se sont réunis autour du siège du gouvernorat de Bassora qui a été partiellement incendié cette semaine lors des protestations, tandis que l’autoroute menant de cette ville à Bagdad a été bloquée cette semaine.


(Lire aussi : Troubles près d’infrastructures stratégiques à Bassora)


Vide politique

Dans la matinée d’hier, le principal port du pays, Oum Kasr, a été fermé après que les protestataires ont bloqué son entrée dans la nuit de mercredi à jeudi. Selon des employés du port, toutes les opérations ont cessé hier et « les camions et le personnel étaient dans l’incapacité d’entrer ou de sortir du complexe » portuaire, a rapporté Reuters. Les autorités irakiennes ont annoncé l’instauration d’un couvre-feu dans l’objectif de dissuader les manifestants de descendre dans la rue, avant de l’annuler quelques minutes avant son entrée en vigueur hier après-midi.

« Il y a une sorte d’amplification des griefs parce qu’il y a aussi un vide politique alors que la formation d’un nouveau gouvernement se fait attendre. Ce qui se fait sentir à travers un certain nombre de dysfonctionnements institutionnels », observe Mme Benraad. « Il n’y a pas d’institutions qui représentent vraiment l’État central dans ces régions – en tout cas elles ne fonctionnent pas », explique-t-elle, avant d’ajouter que « les autorités provinciales ne sont pas très appréciées par le peuple parce que, de la même manière que le gouvernement central a été incapable d’apporter à la population ce qu’elle demandait, elles n’ont pas un bilan exceptionnel non plus ».

Le travail des autorités irakiennes est d’autant plus délicat qu’elles sont particulièrement affaiblies depuis la lutte acharnée menée par Bagdad contre les jihadistes de l’EI qui continuent d’opérer dans certaines zones du pays. S’ajoutent à cela les difficultés de la classe politique à s’entendre et la longueur des tractations pour la formation d’un gouvernement depuis les élections législatives de mai dernier. « Les promesses de changement se sont déjà noyées dans les tractations qui ont eu lieu après l’élection », alors que certains candidats tels que Moqtada Sadr ont défendu une ligne politique antisystème, note la spécialiste. Selon Mme Benraad, les manifestants dénoncent ainsi « la déconnexion de ces élites politiques et cette petite cuisine politique à Bagdad qui ne correspond pas du tout à ce qui se passe sur le terrain et aux demandes des civils ».

Avec la montée des revendications sociales dans le Sud, « les dirigeants politiques irakiens sont actuellement dans une mauvaise situation », souligne M. Kadhim. « D’un côté, M. Abadi n’a que quelques semaines avant la fin de son mandat et il est face à une opposition difficile pour un second mandat », poursuit-il. Selon lui, « la plupart de son temps et de son énergie sont consommés dans cette lutte politique et très peu par l’exécution de ses tâches de gouvernance. Il a perdu quatre ans sans rien faire pour lutter contre la corruption ou améliorer les services, et il essaie maintenant de faire le travail de quatre ans en quatre semaines ». « Ces manifestations pourraient mettre fin à ses espoirs pour un second mandat », conclut M. Kadhim.


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