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Nos Lecteurs ont la Parole - Mohammad ÉLIAS

Dans les méandres des cinémas libanais

S’il y a une chose de sûre, c’est que l’ensemble des spectateurs du ridiculement sulfureux Cinquante nuances de Grey (et suites), ajoutés aux énergumènes de la Sûreté générale, complétés par les rhinocéros qui se sont précipités pour regarder The Post sans en saisir le quart du message suite à la comédie macabre astucieusement menée par cette même Sûreté générale, n’ont pas le quart de la moitié de la culture cinématographique du soulier de Pierre Niney ou d’un cheveu de Charlotte Gainsbourg. Les cinémas libanais sont un merdier qui pue le pop-corn. Ils s’y bousculent, qui pour poster une photo de ses pieds levés insolemment sur le dossier du siège devant lui, sur tous les réseaux sociaux possibles et imaginables, qui pour se vautrer dans l’illusion d’une liberté d’expression à laquelle les affronts portés seraient trop nombreux à citer.
Voici, en clair, à quoi ressemble une épopée cinématographique pour un spectateur, des eaux boueuses du Styx que sont les guichets à la chute finale d’Eurydice lorsque les lumières se rallument : tout commence devant un guichetier incapable dans sa vaste culture de comprendre le nom du film que vous prononcez, ou, au mieux, tout autre mot prononcé dans une autre langue que l’arabe. Bien entendu, il s’agit aussi de supporter l’attente dans la file, délicieusement rallongée par les saints spectateurs qui achètent leurs réservoirs de pop-corn industriel comme s’il s’agissait du corps de Fellini en personne – je m’excuse des grands cinéphiles libanais qui auront du mal à lire le nom de notre ami italien et s’arrêteront pour lancer une recherche Google visant à découvrir que Fellini est au cinéma ce que la symphonie de déglutition du sacro-saint pop-corn est au merdier où nous pénétrons en ce moment même. Car les meilleurs bruitages pouvant accompagner une représentation sont bien ceux que vos camarades spectateurs vous imposeront avec courtoisie depuis la publicité de Coca Cola et jusqu’au noircissement de l’écran. Enfin, car il faut bien accélérer un peu dans notre histoire, vous vous rendrez compte, lorsque les lumières se rallumeront, que le peuple autour de vous est toujours tel un seul et même marécage de sables mouvants, quelle que soit la portée humano-politico-socio-psycho-philosophique du film qui vient de se dérouler sous vos yeux.
Car plus que l’insolence et l’animosité, c’est de l’illusion de jouir de la liberté, si ce n’est d’expression, d’entendre d’autres s’exprimer librement, dont souffre la masse populaire amoncelée dans les salles obscures. Que le diable me prenne, d’ailleurs, si ce n’est pour cette raison que le dernier film de Spielberg, The Post, a failli être interdit l’hiver dernier. Car, quand Spielberg réalise une salade de violence nommée Star Wars, on en viendrait presque à oublier le nom du réalisateur et le cher public s’y précipite à toute heure, en tout jour, durant plusieurs mois. Mais dès que le même Spielberg évoque la liberté de la presse, et, cerise sur le gâteau, en reprenant une histoire vraie ayant pour décor les hautes sphères des States qui font tant – vainement – rêver, une affaire politique et d’argent vieille de plusieurs années devient subitement un argument suffisant pour interdire la projection dudit film. Quelques semaines plus tard, les rhinocéros s’y précipitent en foule, merci aux médias (qui ont eu le droit d’en parler, soulignons-le) qui sans le vouloir ont offert une jolie publicité au long-métrage. Bon, ne soyons certes pas trop optimistes, il faut comprendre tous ceux qui n’ont remarqué, avec surprise, rien de très pro-Israël dans le film, et qui, à force de chercher l’introuvable, sont passés à côté de l’essentiel.
En ce moment, pour qui veut écrire sur les mascarades politico-artistiques qui se jouent sur le grand théâtre de la comédie libanaise, les dernières élections législatives semblent être l’acte 5 inexorablement tragique. Moi, ce que j’en retiendrai surtout, c’est la grosse défaite des femmes – encore une fois. Alors la question que j’adresserai aux Louis XIV du Versailles-Sûreté générale, c’est la suivante : était-ce vraiment la peine d’interdire La Promesse de l’aube aux moins de 18 ans (ou de 13, selon les salles), en ne prétendant que cela n’était motivé que par 120 secondes où un gosse de quinze ans s’envoie en l’air avec une employée de maison, croyant vraiment que personne ne connaît l’histoire de ce roman, qui est à la maternité ce que Le Père Goriot est à la paternité, dans un temps où l’État est oppressé de toutes parts pour que les mères libanaises puissent transmettre la nationalité à leurs enfants ? Et aussi la réponse à laquelle je m’attends : tiens, c’est vrai, faudrait penser à interdire le livre, on le connaissait pas ce fils de pute.
Enfin. Les films libanais qui évoquent 75-90 restent très rares et pour la plupart réalisés par des artistes et non des esclaves de l’argent pistonnés de toutes parts pour dépenser des millions en des absurdités qu’ils croient pouvoir appeler « comédies romantiques » et que je qualifierais comme purs miroirs de la médiocrité où l’on veut à tout prix enfoncer le peuple. Ainsi, lorsque sort le film Still Burning (« Toujours Brûlant » en arabe) du cinéaste Georges Hachem, en janvier 2018, il ne tient, bien entendu, pas beaucoup plus d’une semaine à l’affiche (merci en passant à la Mostra de Venise sans qui L’Insulte ne serait sans doute jamais devenu ce qu’il est, malgré la présence de Adel Karam dans le casting). Pour ceux qui n’en connaîtraient qu’un, Still Burning est une sorte d’autre Insulte mais qui ne correspondait sans doute pas assez à… enfin vous l’aurez compris : la liberté d’expression, au Liban, est toujours tant un leurre, et les cinémas l’un des meilleurs endroits pour en maintenir l’illusion. Pour finir, quelques semaines plus tard, le peuple se précipitait toujours autant pour voir le dernier volet du sulfureux Cinquante nuances, nous prouvant bien une chose : pour qu’un peuple fasse la guerre, faut lui apprendre à penser avec sa bite.

S’il y a une chose de sûre, c’est que l’ensemble des spectateurs du ridiculement sulfureux Cinquante nuances de Grey (et suites), ajoutés aux énergumènes de la Sûreté générale, complétés par les rhinocéros qui se sont précipités pour regarder The Post sans en saisir le quart du message suite à la comédie macabre astucieusement menée par cette même Sûreté générale,...

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