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Idées - Réfugiés

Pour une tutelle internationale du dossier des migrants syriens

Un convoi transportant près de 300 réfugiés syriens installés à Ersal vers le Qalamoun-Ouest, dans le cadre d’une opération conjointe entre Beyrouth et Damas, le 28 juin. Louai Beshara/AFP

«L’excès du langage est un procédé coutumier à celui qui veut faire diversion », écrivait François Mitterrand (L’Abeille et l’Architecte, 1978). Or, plus que jamais, depuis la triste ère syrienne, les sujets politiques réactogènes qui surgissent dans le débat public sont, à de très rares exceptions près, des sujets de diversion. Il en a été ainsi de la stratégie de défense, de la politique de distanciation ; de la démocratie dite « consensuelle » ; des quorums et des majorités de vote de l’Assemblée nationale ; de la grille des salaires, des quotas de participation au pouvoir exécutif, du « droit » sacré du candidat dit fort à « l’éligibilité obligatoire » à la première magistrature, de la loi électorale endémique mais toujours inique et très souvent anticonstitutionnelle dans ses multiples épisodes, etc.

Diversion et dissensions
De tels sujets ont été des moyens de diversion destinés à noyer le poisson mais aussi, et surtout, à susciter et attiser les inexorables dissensions destinées à fragmenter de plus en plus et démembrer la fratrie de la maison libanaise. Dans l’immédiate foulée de la consternante tartufferie des élections législatives (due à une loi électorale inique et anticonstitutionnelle), le très lourd dossier des migrants syriens a ainsi resurgi brusquement, avec un conflit déclenché par le « grenier » Bustros contre le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), accusé de freiner toute démarche de retour volontaire des déplacés en Syrie. Avec, pour toile de fond ubuesque : l’adoption en avril du décret présidentiel syrien n° 10, qui dépossède de facto certains déplacés de leurs biens ; un décret de naturalisation incongru, accouché avant terme début mai, et dont les majeurs bénéficiaires sont des repris de justice et des malfrats patentés ; un premier rapatriement d’une fournée de quelques 3 500 migrants syriens ; et enfin, un Premier ministre « plébiscité » mais paradoxalement condamné à un blocage qui risque de perdurer dans la formation du prochain cabinet. L’on est donc largement en droit (et en devoir) de s’interroger sur le timing et l’objectif du lancement d’une telle bombe à fragmentations mortelles…
Toujours est-il que le dossier épineux des migrants syriens ne devrait point être approché au niveau local, lui déjà sévèrement métastasé par une caste politique qui ne fait plus que dans la prévarication et le brigandage. Dans l’histoire honteuse des migrations massives des populations, aucun État, aussi puissant, souverain et économiquement nanti fût-il, n’a été capable de contenir à lui seul les problèmes des déplacements massifs. Que dire alors de ce Liban, verticalement fragmenté, socialement scindé et économiquement en état de coma et de mort clinique ?
D’ailleurs, les droits des migrants et le recours à des politiques migratoires adaptées avaient été évoqués dans les Objectifs de développement durable (ODD) adoptés à l’unanimité par les Nations unies en 2015, qui avaient recensé près de 400 millions de déplacés dans le monde. Plus tard, le 19 septembre 2016, l’Assemblée générale de cette organisation a adopté à l’unanimité la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants qui a « réaffirmé l’importance du régime international applicable aux réfugiés et préconisé un vaste éventail d’engagements pris par les États membres qui visent à renforcer et à améliorer les mécanismes de protection des personnes qui se déplacent ». Les États membres ont également convenu des éléments fondamentaux d’un cadre global d’action pour les réfugiés et décidé d’œuvrer en vue de l’adoption de deux nouveaux pactes d’ici à la fin 2018 : un pacte mondial sur les réfugiés et un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

Bataille existentielle
Il est donc grand temps de renoncer aux discours de diversion car, dans l’histoire du pays du Cèdre, le péril d’une mutation morphologique de son identité n’a jamais été autant omniprésent. Aussi, le Liban officiel et civil, tous bords et confessions confondues, est-il appelé à sortir de sa léthargie et mener sa bataille existentielle. Celle-ci doit commencer par une sensibilisation inlassable de la communauté internationale, de l’Union européenne et de la presse mondiale, afin de contraindre les Nations unies à adopter une résolution plaçant sous leur tutelle exclusive le dossier des migrants syriens au Liban, avec tous ses tenants et aboutissants.
Quant aux « obsessionnels » de la souveraineté du Liban, nous leur rappelons par anticipation que les raisons – humaines, sécuritaires, économiques et financières, juridiques – d’un tel recours sont pléthore. Et leur posons quelques questions basiques : qui est donc l’instance libanaise en mesure de recenser les migrants et leurs familles (nouveau-nés compris) et de les trier selon leur allégeance aux factions antagonistes ? De s’assurer de leur « sécurité » d’une manière impartiale et transparente ? De négocier avec un régime mondialement décrié ? De contrôler les frontières afin de sécuriser leur rapatriement dans les zones sûres de leur pays d’accueil ? De leur aménager des camps d’accueil équipés pour les loger temporairement, assurer leur protection, leur fournir des conditions de vie dignes, et de leur trouver des emplois ?
Pour reconnaissants que les Libanais se doivent d’être vis-à-vis d’Angela Merkel pour avoir visité, fin juin, le Liban à la tête d’une délégation imposante, son sac de marque lesté d’un bon demi-milliard de billets verts destiné à monnayer le pernicieux statu quo, il leur est tout aussi évident qu’elle n’est point venue magnifier leur sacro-saint sens de l’humain et de l’hospitalité non plus que compatir avec la double misère des migrants syriens et des Libanais. Mme Merkel aurait mieux fait de remplacer son déplacement par une simple déclaration annonçant la décision de son gouvernement d’adresser à l’ONU et au Parlement européen une requête dans le sens précité. En limitant les pourparlers avec la chancelière allemande à la seule nécessité de soutenir l’économie nationale et à l’urgence de trouver des possibilités d’emploi afin de pourvoir aux contraintes financières des migrants syriens dans un pays en état de mort clinique avancée, le Liban officiel est lamentablement passé à côté de la plaque.

Avocat au barreau de Beyrouth et conseiller du président des Forces libanaises, Samir Geagea.

«L’excès du langage est un procédé coutumier à celui qui veut faire diversion », écrivait François Mitterrand (L’Abeille et l’Architecte, 1978). Or, plus que jamais, depuis la triste ère syrienne, les sujets politiques réactogènes qui surgissent dans le débat public sont, à de très rares exceptions près, des sujets de diversion. Il en a été ainsi de la stratégie de...

commentaires (2)

...""Mme Merkel aurait mieux fait de remplacer son déplacement par une simple déclaration annonçant la décision de son gouvernement d’adresser à l’ONU et au Parlement européen une requête dans le sens précité."" .. Selon l'auteur,le déplacement de la Chancelière est donc inutile ; il suffit de s'adresser à l'ONU. Toutes les aides internationales sont les bienvenues, quand elles viennent de personnes de bonne foi, et de désintérêt électoral...

L'ARCHIPEL LIBANAIS

20 h 08, le 08 juillet 2018

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Commentaires (2)

  • ...""Mme Merkel aurait mieux fait de remplacer son déplacement par une simple déclaration annonçant la décision de son gouvernement d’adresser à l’ONU et au Parlement européen une requête dans le sens précité."" .. Selon l'auteur,le déplacement de la Chancelière est donc inutile ; il suffit de s'adresser à l'ONU. Toutes les aides internationales sont les bienvenues, quand elles viennent de personnes de bonne foi, et de désintérêt électoral...

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    20 h 08, le 08 juillet 2018

  • ...""Dans l’immédiate foulée de la consternante tartufferie des élections législatives (due à une loi électorale inique et anticonstitutionnelle)"" et c'est le conseiller d'un chef de parti qui amélioré le nombre de députés qui le dit...

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    20 h 01, le 08 juillet 2018

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