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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Poutine veut aussi gagner sa Coupe du monde

Une élimination au premier tour serait toutefois un point noir pour l’équipe organisatrice.

Vladimir Poutine assistant hier à Moscou à un gala à l’occasion du lancement de la Coupe du monde. Sputnik/Alexei Nikolsky/Kremlin

Vladimir Poutine n’est pas un fan de football, mais c’est avec un intérêt certain qu’il va suivre la Coupe du monde qui débute aujourd’hui en Russie. Malgré le faible niveau affiché par la sélection russe, le président a conscience de tout le prestige qu’il peut tirer de cette compétition qui brise l’image d’une Russie isolée par les sanctions occidentales.
Une échéance sportive internationale majeure, telle que la Coupe du monde de football, est toujours une opportunité politique pour le pays qui reçoit l’événement. C’est une manière de partager sa culture avec le reste du monde, d’étaler ses capacités économiques et infrastructurelles, et de conduire des relations diplomatiques informelles. Une occasion pour le chef du Kremlin d’user de son soft power à un moment où il est sérieusement critiqué sur plusieurs dossiers par les Occidentaux. L’événement sportif le plus attendu de la planète est l’occasion pour la Fédération de Russie de projeter une image d’État fort, stable et organisé, mais aussi ouvert et accueillant. « Pour Poutine, organiser le Mondial témoigne de l’échec des sanctions et des efforts de l’Occident pour l’isoler (...) Tout le monde vient quand même à la Coupe du monde », estime pour Reuters Sergueï Medvedev, enseignant à la Haute École d’économie de Moscou.
L’opération séduction a déjà débuté avec une vidéo de promotion partagée samedi dernier par le comité d’organisation de la compétition. Face à la caméra, dos au Kremlin, Vladimir Poutine en costume-cravate s’adresse directement au monde. Il déclare, en russe, qu’il « espère que vous aurez des souvenirs inoubliables ; pas seulement des matches (…), mais aussi de votre rencontre avec la Russie, sa culture hors du commun, son histoire unique (…) et son peuple hospitalier, sincère et amical ».
L’autre offensive médiatique est venue de Tchétchénie, de la part du président de cette République russe, qui par ailleurs n’accueillera aucun match, Ramzan Kadyrov. Ce dernier, qui aurait « tiré Mohammad Salah de son sommeil », selon le quotidien britannique The Sun, s’est offert hier un tour de terrain devant 8 000 spectateurs, en compagnie de la star égyptienne du club de Liverpool et meilleur joueur africain de l’année 2017, très populaire dans le monde du football. Ramzan Kadyrov, qui jouit du soutien sans faille de Vladimir Poutine, est régulièrement accusé par les organisations internationales pour ses atteintes aux droits de l’homme et aux libertés. Il est notamment connu pour avoir dit, en référence aux accusations de détentions illégales et tortures d’homosexuels: « Il n’y en a pas chez nous. »

« La Russie est trop toxique »
Dans l’enclave de Kaliningrad, véritable poste avancé russe en territoire de l’UE, Moscou a décidé d’organiser quatre matches. Sur ce territoire, situé entre la Pologne et la Lituanie, tous deux membres de l’OTAN, se trouve la base de la flotte russe en mer Baltique, et surtout un arsenal permanent depuis février dernier de missiles Iskander, capables de porter des têtes nucléaires. La région a aussi été témoin de la construction d’un stade à 300 millions de dollars avec une capacité de 35 000 personnes, alors que le club local n’a que 4 000 supporters. William Courtney, chercheur à la Rand Corporation, explique au journal The New Republic que « Vladimir Poutine peut se vanter que Kaliningrad est un puissant bastion militaire (…) et veut montrer que la ville est plus prospère qu’elle ne l’est réellement ». « Le Mondial n’aura pas un impact significatif sur l’image de la Russie parce qu’elle est trop toxique », explique toutefois à L’Orient-Le Jour Andrei Kolesnikov, chercheur au Centre Carnegie de Moscou. Depuis l’attribution à la Russie par la FIFA en 2010 de l’organisation de cette édition, l’image du pays s’est fortement dégradée. Il y a eu entre-temps l’annexion de la Crimée et le début de l’ingérence dans le conflit ukrainien en 2014, en plus des accusations de dopage systématique des athlètes russes durant les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi. Le mois dernier, le parquet hollandais affirmait que le missile qui a détruit l’appareil du vol MH17 au-dessus de l’Ukraine en 2014, tuant toutes les personnes à bord, provenait de Russie. Vingt-huit ressortissants australiens se trouvaient parmi les victimes, et c’est la raison pour laquelle le gouvernement de ce pays qualifié à la Coupe du monde a décidé de n’envoyer aucun officiel aux matches de leurs sélections, mis à part leur ambassadeur à Moscou.

« Pas de grands résultats »
En 2015, la Russie a débuté son intervention en Syrie en soutien au régime de Bachar el-Assad, et en 2016, c’étaient les accusations d’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine qui faisaient polémique, en plus des événements de la « bataille de Marseille », où des hooligans russes avaient violemment pris à partie des groupes de supporters anglais. Cette année, il y a eu l’affaire Skripal, du nom de l’ex-espion russe empoisonné avec sa fille sur le sol britannique. Une affaire attribuée par Londres à Moscou et qui a poussé la majorité des pays de l’UE à expulser des diplomates du Kremlin. C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Londres n’enverra aucune délégation officielle pour les matches de sa sélection nationale.
Vladimir Poutine devrait tout de même recevoir plus d’un responsable étranger participant à la compétition. Il recevra aujourd’hui le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane en marge du match d’ouverture de la Coupe du monde opposant leurs deux pays. L’occasion de parler, au-delà du football, du prochain sommet de l’OPEP les 22 et 23 juin, durant lequel les deux pays souhaiteraient une décision en faveur d’une augmentation de la production de pétrole. De son côté, le président français Emmanuel Macron a confirmé qu’il se rendrait à Moscou si les Bleus arrivaient en quarts de finale. Les autres pays dans le groupe de la Russie et de l’Arabie saoudite sont l’Uruguay et l’Égypte. M. Poutine ne se fait pas d’illusions et évite de s’associer à une équipe assez faible qui pourrait ne pas passer le premier tour. « Concernant notre sélection, je dois reconnaître un fait : malheureusement, elle n’a pas eu de grands résultats dernièrement. Mais nous espérons (...) que la sélection jouera dignement, montrera un beau football, intéressant et moderne, et se battra jusqu’au bout », a déclaré le président russe le 6 juin dans une interview à la télévision chinoise, retranscrite sur le site du Kremlin. Dans un groupe à forte coloration géopolitique, une défaite contre l’Arabie saoudite ou contre l’Égypte ferait toutefois tache pour l’équipe organisatrice.

Vladimir Poutine n’est pas un fan de football, mais c’est avec un intérêt certain qu’il va suivre la Coupe du monde qui débute aujourd’hui en Russie. Malgré le faible niveau affiché par la sélection russe, le président a conscience de tout le prestige qu’il peut tirer de cette compétition qui brise l’image d’une Russie isolée par les sanctions occidentales. Une échéance...

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