Il a emprunté d’abord son allure, un peu celle d’un clown rigolo et absurde. Et porté ses moustaches, son cherwal et sa voix haute. Sa gouaille et sa sympathie ont fini de parachever le portrait que fait Samah Bou el-Mona de Philémon Wehbé dans la comédie musicale Kechou al-Dijaj au Metro al-Madina. Durant plus d’une heure, le jeune chanteur fait revivre ce grand artiste immortel souvent mal connu ou méconnu. Car cet auteur musicien, qui a collaboré avec les plus grands noms de la chanson libanaise, parmi lesquels Sabah, Wadih el-Safi, Nasri Chamseddine, mais surtout Fairouz pour laquelle il a signé près d’une trentaine de chansons comme Min Ezz el-Naoum, Jayibli Salam ou Ya Mersal el-Marasil, mémorisait ses compositions en attendant que quelqu’un les lui retranscrive.
Du « of of » à « Kalashnikov »
Ovni venu d’une autre planète, Wehbé n’a jamais étudié la musique. Plus encore, il ne savait ni lire ni écrire. En dépit de cela, il a réussi à s’installer dans la cour des grands et représenter toute une époque, de l’âge d’or du Liban jusqu’aux événements douloureux subis par le pays. On le disait naïf, bonasse, voire benêt sur scène, mais sous cet air de simplet, le comédien Philémon Wehbé a offert à son public des airs immortels, charmants et pleins d’humour, ainsi que des rôles inoubliables dans des comédies des Rahbani. De Kichou al-Dijaj à Latifeh en passant par Sanferlo ou Kalashnikov, il a dépeint son pays avec tendresse et finesse et une grande absurdité, soulignant ainsi les paradoxes d’une société à la fois moderne et conservatrice.
Sur scène, Samah Bou el-Mona, dans une drôle de coiffure, s’excusera d’avoir oublié la rose de Philémon, mais ne négligera pas ses mimiques si particulières qui firent de lui un « personnage » en soi, et un clown quasi triste. Entouré d’une bande de musiciens au talent indéniable, le jeune chanteur reprendra le meilleur du répertoire du grand Philémon aux sons d’instruments du terroir comme la rababa ou le oud, mêlés à ceux de la country music, harmonica ou batterie. Il aura suffi de quelques chansons et de la musique de ces joyeux lurons, tous habités par une douce légèreté, pour faire la fête et téléporter le public dans cette époque révolue que beaucoup n’ont pas eu le privilège de connaître. Le temps des poulaillers devant la maisonnée, mais aussi celui où l’on pardonnait à son voisin d’avoir proféré des jurons en tournant la tête et en disant « ça ne fait rien ». Cette époque appartient à une histoire si douce où l’agressivité n’avait pas d’emprise sur le pays du Cèdre. Ce spectacle nous rappelle que le Liban reste et demeure une terre douce, de lait et de miel, et que l’amertume ne prendra jamais le dessus, car ses grands artistes ont laissé un legs qui ne meurt jamais.
*« Kechou al-Dijaj », Metro al-Madina, Hamra, mercredi 6 juin à 21h30.
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commentaires (3)
Allah yirham Philemon! I'll était un ingrédient essentiel de la taboulé artistique que le Liban offrait au monde!
Wlek Sanferlou
14 h 16, le 06 juin 2018