Carla Sayad, seule commandante à bord

Artiste-peintre autodidacte, diplômée en architecture d’intérieur, Carla Sayad a choisi de consacrer sa vie à sa passion, la peinture. Elle a rejoint en 2013 la communauté des Urban Sketchers, une association qui met en avant la valeur artistique du dessin in situ. Après avoir sillonné les rues de la ville qui l’a vue naître et avec laquelle elle entretient une relation particulière, elle publie son carnet de croquis In Beyrouth qui lui vaudra le premier prix parmi 600 participants, au Festival de Carnet de voyage qui s’est tenu à Clermont-Ferrand en 2016. Elle a également participé à de nombreuses expositions collectives et individuelles à travers la région, entre la Syrie, Dubaï et le Liban. « Je n’ai jamais appris le dessin, lance-t-elle, entre deux éclats de rire contagieux, c’est venu tout seul… ».

Abordage réussi
Dans une autre vie, Carla Sayad a probablement été matelot, moussaillon, sirène ou même corsaire, pour oser prendre le gouvernail, s’embarquer sur ces navires et affronter la mer dont elle seule maîtrise les secrets. Être devant une toile (peinte sur fond de cartes maritimes trouvées dans la cale d’un bateau) de cette artiste, c’est ressentir quelque chose de l’ordre de l’indicible, c’est partager l’expérience d’un grand voyage, c’est capter dans cette agitation houleuse le surgissement de l’inconnu, l’inconnu du grand large qu’elle prend à bord de ses multiples embarcations, avec pour seules rames ses crayons bien aiguisés, et elle seule capitaine à bord. Les voiliers, monocoques ou chaloupes de Carla Sayad (exposés chez Fadi Mogabgab) sont secoués par la tempête mais ne sombrent jamais, pareils à cette artiste, ils demeurent insubmersibles et véhiculent le symbole d’une dynamique de vie. Pourtant, une ambiguïté s’installe dans son rapport au grand bleu, quand elle avoue : « La mer me terrorise et m’appelle en même temps. Elle est mon évasion, mon escapade et ma fuite face au chaos environnant, et quand mon crayon glisse tout seul sur une mer calme, la tempête surgit et m’envahit. » Alors elle se laisse entraîner, prend la barre, maîtrise les couleurs océanes, enroule et dénoue les cordages, traverse la passerelle de ses envies nimbées de couleurs, grimpe sur les mâts pour scruter au loin un horizon qui reste calme et serein. Chaque bateau dessine un rêve, celui de se laisser emporter, affronter et surmonter, celui de partir mais toujours pour mieux revenir. Une mer comme symbole du monde en ébullition, une mer comme siège des passions, une mer qui désigne le siècle présent, que certains franchissent pour se sauver et où d’autres se noient...

Un médium qui suggère la narration
La puissance et la fluidité de ses dessins s’accroît lorsque l’écume se fait pastel pour se fondre dans les transparences d’un traitement à l’aquarelle, à la limite de l’accident. Car, chez cette artiste, rien n’est réfléchi. Son geste spontané et audacieux devance sa pensée et se présente souvent comme une réaction par rapport au support. Les résultats sont immédiats et passent par la médiation de ses lignes et de ses traits bien tracés. Chaque élément qui donne de la couleur ou qui accentue un effet d’ombre et de lumière a son importance et toute la force de cette artiste réside dans la multiplicité des détails traités avec élégance et minutie d’un monde qui apparaît au gré des remous de son inspiration.
La modestie et la discrétion sont de mise chez Carla Sayad qui avoue être en perpétuel questionnement, sans se douter un instant que face à cette traversée picturale, le visiteur demeure secoué et séduit.

*Galerie Fadi Mogabgab
« Boat Maps » de Carla Sayad
Jusqu’au 25 juin 2018.