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Économie - Interview express

Jean-Paul Cluzel : Financer la culture savante permet de créer du lien social

Inspecteur des finances de formation, Jean-Paul Cluzel a dirigé plusieurs institutions culturelles françaises comme l’Opéra de Paris (1992-1995), Radio France International, puis Radio France (1995-2009), ou encore le Grand Palais (2015-2016). « L’Orient-Le Jour » l’a rencontré en marge d’une conférence sur l’économie de la culture organisée par l’Institut français et la Banque Bemo et qu’il a animée fin avril à l’École supérieure des affaires (ESA), quatorze ans après son dernier passage au Liban.

Jean-Paul Cluzel, haut fonctionnaire français, qui a dirigé notamment Radio France et l’Opéra de Paris. Photo D.R.

Quels sont les modèles les plus répandus pour financer la culture savante – soit celle qui, par opposition à la culture populaire, requiert une certaine formation préalable pour être appréciée ?
C’est l’une des questions qui ont été abordées pendant la conférence que j’ai animée à l’ESA, et qui s’articulait autour du thème de l’économie de la culture dans un contexte mondialisé. En matière de financement, nous avons spécifiquement abordé les différences qui existent entre les modèles américain et français (et européen), en essayant de tirer des conclusions pour le Liban.
Pour résumer, si on oppose souvent ces modèles, dans les deux cas, près de la moitié des ressources viennent des recettes générées par le public, visiteurs de musées, spectateurs de concerts, de pièces de théâtres etc. La différence est qu’aux États-Unis, l’autre moitié vient de la philanthropie, donc du secteur privé, tandis que le modèle français est financé peu ou prou dans les mêmes proportions par l’État et les collectivités territoriales – dont le poids devient de plus en plus important avec le temps.
La donne est fondamentalement différente pour la culture populaire ou de divertissement, qui se finance presque intégralement par les recettes du public, qu’elles soient générées directement par la prestation des acteurs du secteur ou par la ventes de produits dérivés de l’industrie culturelle.

La culture savante ne peut donc s’autofinancer en comptant uniquement sur les recettes du public ?
Le problème, c’est que les recettes du public sont généralement trop faibles pour couvrir le coût des institutions culturelles qui sont chargées de la promouvoir. Au Liban, par exemple, le Musée national ne pourrait pas ouvrir ses portes s’il n’était pas financé par l’État. Financer ces institutions reste néanmoins indispensable car ce sont elles qui sont chargées du développement de la culture savante dans un cadre géographique donné. Un développement qui doit mettre la priorité – et là nous parlons plus de stratégie – sur l’augmentation de sa diffusion. André Malraux qui a dirigé de 1959 à 1969 le premier ministère de la Culture en France (NDLR : alors appelé ministère d’État des Affaires culturelles. Avant, la fonction était exercée par un haut fonctionnaire dépendant du ministère de l’Instruction publique) disait que cette administration avait pour principale mission de « mettre à la disposition du plus grand nombre des œuvres majeures de l’humanité ». Je crois que tout est dit dans cette phrase.
La culture savante n’a donc pas vocation à être rentable…
Indirectement, si. Les premiers bénéficiaires sont d’abord le tourisme mais aussi la société, dans la mesure où la culture crée du lien social. Quand on investit dans la culture, on a moins besoin de dépenser pour réparer le tissu social d’un pays.

Le Liban doit-il plus tendre vers le modèle américain ou doit-il au contraire renforcer le rôle de l’État et des collectivités pour promouvoir la culture savante dans le pays ? Le choix du modèle a-t-il une influence sur l’orientation du développement de la culture ?
Cela fait environ quatorze ans que je n’ai pas eu le plaisir de revenir dans ce pays. Il est donc difficile pour moi qui ne suis ici que depuis quelques jours de vous livrer un diagnostic complet. Ce que je peux vous dire, c’est que l’État libanais aurait sans doute du mal à assurer ce rôle actuellement, notamment parce qu’il ne génère pas assez de recettes publiques pour pouvoir en affecter une partie suffisante au développement de la culture savante. J’aurais donc tendance à conclure que le pays tendrait plus naturellement vers le modèle américain, surtout dans la mesure où de grandes familles libanaises jouent d’ores et déjà le rôle de mécènes en finançant plusieurs grands festivals ainsi que certains musées. Il reste que, dans les deux cas, les recettes du public sont primordiales.
S’agissant de la question de l’influence du modèle de financement sur l’orientation du développement de la culture savante, je ne pense pas que le visiteur voit une différence selon qu’un musée soit financé par l’État ou un mécène. De plus, l’idée que les institutions publiques auraient plus tendance à limiter les prises de risque en termes de créativité n’est pas avérée. Les productions issues des arts de la scène dans plusieurs pays européens où les institutions culturelles sont subventionnées par le public sont par exemple plus modernes et plus audacieuses que dans celles des théâtres américains.
En dehors du financement, il y a enfin la question de la protection de la propriété intellectuelle qui doit être renforcée au Liban comme dans le monde arabe. La culture a besoin d’auteurs et ces derniers ont besoin de pouvoir vivre de leurs créations.

Quels sont les modèles les plus répandus pour financer la culture savante – soit celle qui, par opposition à la culture populaire, requiert une certaine formation préalable pour être appréciée ? C’est l’une des questions qui ont été abordées pendant la conférence que j’ai animée à l’ESA, et qui s’articulait autour du thème de l’économie de la culture dans un contexte...

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