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Culture - Théâtre

L’amour follement trahi par la passion

« Noces de sang », de Lorca, joué à Hammana en représentation itinérante par le Theater Initiative de l’AUB, sous la direction de Sahar Assaf.

Leonardo et son amoureuse, pris au piège de leur passion, volent un moment d’intimité avant le drame.

Comme pour toute grande tragédie, plusieurs lectures de Noces de sang, du poète espagnol Federico Garcia Lorca, sont possibles. Celle que nous a donnée à voir et entendre, à Hammana, Sahar Assaf, directrice de la troupe Theater Initiative de l’AUB, n’en est pas moins émouvante que la lecture traditionnelle. 

Inspirée, dit-on, d’un fait divers tragique, Noces de sang se déroule dans la campagne andalouse. C’est l’histoire d’un mariage arrangé sur le point de se conclure, mais qui tourne au drame quand la jeune promise s’enfuit avec l’homme qu’elle a toujours aimé (Leonardo, joué par Jawad Rizkallah), auquel elle avait été fiancée jadis, avant que les contraintes de la société rurale traditionnelle les aient séparés. Le déshonneur va conduire au drame : le futur époux (Walid Saliba) et l’amant versent tous deux leur sang, l’un en vengeant son honneur, l’autre en payant le prix de son coup de folie, laissant derrière eux des vies brisées.

La lecture de ce drame s’impose d’elle-même. C’est la passion d’un homme et d’une femme enivrés par la promesse du bonheur, leur attirance fatale l’un pour l’autre, l’acte insensé qu’ils commettent et qui se fracasse – principe de réalité – sur des conventions sociales inexorables. C’est aussi l’histoire éternelle des veuves et mères endeuillées par le point d’honneur des sociétés patriarcales qui emporte leurs maris et leurs fils. Les deux figures de la mère, solidement campée par May Ogden-Smith, et de la fiancée, à laquelle Maria Béchara prête son charme, dominent la pièce et s’exaltent l’une l’autre, dans un jeu de réparties qui se clôt dans l’insondable tristesse des destins brisés.

Mais dans le subtil jeu des acteurs qu’elle dirige, Sahar Assaf introduit un impondérable qui lui a fait prendre une dimension supplémentaire et laisse voir un troisième destin brisé : celui de l’épouse de Leonardo, l’amoureux qui finit assassiné, joué avec beaucoup de vérité par Basma Beydoun. Sans doute intuitivement dirigé par une femme, le jeu de la jeune actrice donne un relief extraordinaire à la noblesse de la fidélité. C’est la scène de la pergola, l’amour sponsal trahi, qui se hisse au niveau de l’amour passionnel. Cet élément supplémentaire humanise une tragédie dominée par la violence et la crudité des sentiments. Humanisation par le devoir et la vie intérieure réfléchie – loin du conventionnel, tout en ayant son apparence.

Une « performance promenade »
Produite par Robert Myers, traduite et réalisée par Sahar Assaf, qui maîtrise adroitement et intelligemment les règles du théâtre classique, la pièce de Lorca a été montée sous la forme d’une représentation itinérante (performance promenade), le public se déplaçant d’un site réel à l’autre d’un quartier de Hammana, dans des pièces ou des coins de jardin prêtés par les habitants, la police municipale protégeant les déplacements de la foule des spectateurs, d’une scène à l’autre. 

La scène la plus extraordinaire de la pièce se déroule dans l’ancien ciné-théâtre désaffecté et désuet de Hammana – l’une de ces salles des années 50 dont les sièges vissés au parquet claquent en se rabattant. Sur la scène embrumée éclairée par deux projecteurs, Sahar Assaf nous fait suivre, simultanément, une implacable chasse à l’homme et, en projection, une dernière étreinte passionnée entre les amants en fuite. La scène apporte au drame un élément lunaire et maléfique ; c’est le royaume complexe, ambigu, des choix généreux, mais ténébreux, des ombres et de la nuit. Scène allégorique ponctuée aussi de chansons, où l’on voit se mouvoir dans l’ombre la lune (jouée par Marcel Bouchakra), des bûcherons, des villageoises et un joueur de violon. 

La scène finale conduira les spectateurs dans l’entrée du salon paroissial de l’église de Hammana, dont la grande croix donnera la répartie aux vêtements de deuil de la mère et des pleureuses et aux protestations de pureté d’une jeune femme qui a cru pouvoir inverser le temps, et par laquelle l’irréparable s’est produit. 

Une grande réussite du Theater Initiative, délocalisée grâce au Hammana Artist House, avec un casting presque parfait.


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