Les politiciens regorgent d’idées lumineuses, en cette période pré-électorale. La dernière sortie de notre fringant ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, est sa promesse de présenter un projet de loi qui permettrait aux Libanaises mariées à des étrangers, « exception faite des Palestiniens et des Syriens », de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Et « dans un souci d’égalité » entre les hommes et les femmes, M. Bassil n’a rien trouvé de mieux que de suggérer que les Libanais mariés à des Palestiniennes ou des Syriennes ne puissent plus transmettre leur nationalité libanaise à leurs enfants.
Scandaleux ! Car Gebran Bassil propose de réparer une violation par une autre violation, discriminatoire, xénophobe, raciste.
Partons de la violation initiale, cette interdiction à la Libanaise de transmettre sa nationalité à ses enfants et son époux. La Constitution est pourtant claire à ce sujet. « L’égalité dans les droits et les obligations entre tous les citoyens, sans distinction ni préférence », figure dans son préambule, comme fondement du « Liban, république démocratique, parlementaire… ». Sans oublier que le Liban est membre fondateur et actif de l’Organisation des Nations unies, engagé par ses pactes et par la Déclaration universelle des droits de l’homme, et que l’État concrétise ces principes dans tous les champs et domaines sans exception.
Mais ces principes auxquels l’État se dit tellement attaché dans son texte fondamental ont été balayés du revers de la main par les autorités, lorsqu’elles ont signé, en 1996, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw)... Avec trois réserves ! L’une d’entre elles interdisant à la femme libanaise ayant épousé un étranger de transmettre sa nationalité à ses enfants et à son époux.
L’annonce du chef du CPL a fait l’effet d’une bombe. Non seulement parmi les fervents défenseurs des droits de l’homme, associations féministes en tête, mais auprès de toute personne soucieuse du respect de la Constitution, de la construction d’un État de droit, doté d’une justice sociale.
De quel droit Gebran Bassil se permet-il de faire la différence entre une Libanaise qui a épousé un Palestinien ou un Syrien, et une citoyenne qui a épousé un Irakien, un Égyptien, un Européen, un Américain ou autre ?
De quel droit décide-t-il de retirer à l’homme libanais marié à une Syrienne ou une Palestinienne le droit de transmettre sa nationalité à son épouse et à ses enfants ?
Outre son aberration sur le plan constitutionnel, le projet bâclé du ministre des Affaires étrangères non seulement accentue la discrimination à l’égard de certaines tranches de la population, mais il est clairement la marque d’un racisme profond. Sans compter qu’il aura pour conséquence de créer une nouvelle catégorie d’enfants apatrides, fils de Libanais ou de Libanaises, sans nationalité, sans identité aucune, étrangers dans leur propre pays, vu que le droit du sol ne s’applique pas au pays du Cèdre. Avec tous les problèmes que cette situation ne manquera pas d’engendrer.
Accorder à la Libanaise le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants et sa famille est une revendication juste et populaire, réclamée à cor et à cri depuis des décennies par les Libanaises épouses d’étrangers et par nombre d’organisations de défense des droits de l’homme. Elle concernait déjà, en 2013, quelque 76 000 femmes et leurs familles, selon la campagne Jinsiyati, » Ma nationalité, un droit pour moi et ma famille «.
Mais la légitimité de cette cause n’écarte pas le caractère complexe du dossier, lié aux risques de déséquilibre démographique islamo-chrétien au détriment des chrétiens, voire communautaire à l’avantage de la communauté sunnite. Entrent également en jeu les risques d’implantations palestinienne et syrienne, vu le nombre particulièrement élevé de réfugiés sur le sol libanais. En langage diplomatique, cela s’appelle « le droit au retour des Palestiniens et des réfugiés syriens ». D’où la grande réticence du législateur et de l’État dans toutes ses composantes à trouver une réponse aux revendications militantes.
Le dossier de la transmission par la Libanaise de sa nationalité est digne d’une attention particulière, d’une réflexion en bonne et due forme, menée par des hommes de loi et de droit. Et non pas d’un projet griffonné à la hâte par un ministre candidat à la députation, à un mois et demi des législatives.
Une insulte à l’intelligence des Libanaises et des Libanais, à leurs droits essentiels de transmettre à leurs descendants et conjoints leur appartenance à leur patrie !
Liban - Citoyen grognon
Idée lumineuse !
OLJ / Par Anne-Marie El-HAGE, le 23 mars 2018 à 00h00
commentaires (6)
S'il faut , pour équilibrer les choses , qu'on en arrive à interdire la transmission de la nationalité de toute femme , mère et épouse à ses enfants ou son mari , il faudrait mieux le faire pour toutes les femmes de nationalite libanaise mariée à tout étranger . Plutôt que faire un choix bancal qui va un jour où l'autre discriminer parmi les "moitié libanais". Bassil a été peut être maladroit , mais il n'est pas raciste ni discriminatoire . Il pense bien faire .
FRIK-A-FRAK
15 h 47, le 23 mars 2018