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Nos Lecteurs ont la Parole - Maya KHADRA

Wonder Wheel, ou l’horreur du fatum allenien

La scène d’inauguration est paisible. Une image pittoresque sortie d’un panorama kitsch des années 50 du siècle dernier. Des couleurs criardes s’en détachent pour tracer le tableau pittoresque d’un site de villégiature qui inspire l’insouciance et la légèreté : Coney Island. Un moutonnement d’estivants grouille sur la plage, un maître-nageur sur son promontoire (Justin Timberlake) est un aède sur son perchoir annonçant les péripéties à venir. Il est l’auteur et le personnage dans la tragédie… Mais aussi l’homme insoucieux autour de qui orbitent deux femmes et dont l’obsession ravageuse n’est autre que devenir un célèbre dramaturge. Le quotidien paisible ne tarde pas à se transformer en un accéléré d’actions où les contours d’une véritable tragédie grecque se dessinent… obstinément. Le destin est infrangible, incoercible, imparable…
Dans un cagibi misérable en face de la roue Wonder Wheel de Coney Island, Ginny, actrice déchue, névrotique comme tous les personnages de Woody Allen, vit avec son mari, un goujat alcoolique du nom de Humpty, et son fils, Richie, aux tendances pyromanes. C’est l’exemple type de l’être de fiction oscillant entre la mélancolie romantique et le défaitisme tragique. Traînant ses pas sur une plage déserte par un jour d’orage, son destin croise celui de Mickey, le maître-nageur briguant un avenir de dramaturge. Avec lui, elle caresse le rêve de se refaire une carrière de comédienne. Elle jouerait les pièces que son amant lui écrirait. Mais le rêve s’étiole quand Carolina, la fille de Humpty, débarque dans leur baraque. Le destin du couple bascule quand Mickey s’amourache de la jeune Carolina, femme recherchée par son ex-mari, gangster redoutable. Elle s’engouffre dans les dédales d’une hystérie dévorante et n’empêche pas les gangsters à la recherche de Carolina de la kidnapper (pour la tuer ?) à la sortie de son rendez-vous galant au restaurant Capri avec Mickey. L’histoire se termine sur une note sombre. Mickey découvrant les manigances de Ginny la surprend ivre, affublée de sa robe pailletée de comédienne dans son appartement misérable, et prend la fuite. Humpty, rentrant d’un bar, se résout à tourner la page et choisit de continuer sa vie avec sa femme au bord de la crise des nerfs. Le film se clôture sur une scène de pyromanie. C’est Richie qui met le feu à un amoncellement de brindilles au bord de la plage.

Intertextualités et contre-tragédie
Pour les connaisseurs de Woody Allen, Wonder Wheel est un film qui résonne d’intertextualités. La musique de jazz qui forme la toile de fond de cette fresque tragique est le fil conducteur mélodieux dans tous les films du réalisateur américain. Il y a consacré un film en 1999 : Sweet and Lowdown, relatant l’histoire du compositeur jazz Emmet Ray. Dans Wonder Wheel, les actions se succèdent fébrilement avec comme toile de fond la chanson Coney Island Washboard des Mills Brothers, groupe de jazz afro-américain contemporain d’Emmet Ray. La similitude au niveau du scénario surgit quand Mickey promet à Ginny des jours meilleurs loin de son mari (un véritable Charles Bovary !) en lui décrivant la beauté paradisiaque de Bora-Bora. Les mêmes phrases sont utilisées par Woody Allen (Joe Berlin, écrivain raté) pour séduire Von (une artiste tout aussi ratée et rêveuse) dans Everybody Says I Love You (1996). L’aspect de la tragédie grecque qui caractérise ce film est le même que dans Mighty Aphrodite (1995), mais sans le chœur grec à l’appui des moments charnières de l’histoire. Ginny serait une Phèdre aimant un homme beaucoup plus jeune qu’elle, Mickey (Hippolyte). Elle lui tend même un couteau dans un moment de détresse pour la poignarder au cœur. Dans son délire à la scène finale, elle ressemble à tous les personnages déments de la littérature qui se déguisent dans un moment de délire… à la manière des sœurs Papin dans l’acte final des Bonnes de Genet. Déguisement et démence sont le summum de la détresse du personnage tragique. Mais la réalité rattrape le tragique dans Wonder Wheel. La roue du destin, Wonder Wheel, reprend son cours pour épargner à Ginny la mort et pour lui imposer une vie monotone plus pénible que la mort.
Après avoir tourné des films en Europe dernièrement : Midnight in Paris, To Rome with Love, Magic in the Moonlight, Allen renoue avec l’Amérique depuis Blue Jasmin, Irrational Man et Café Society. C’est l’Amérique qui constitue le territoire de prédilection du réalisateur prolifique au pinacle de sa carrière. Cette Amérique des années 50 dont il éprouverait la nostalgie… Wonder Wheel est un opus magnum, à ne pas rater. Un chef-d’œuvre signé par le grand maître du sarcasme et du génie cinématographique américain.

La scène d’inauguration est paisible. Une image pittoresque sortie d’un panorama kitsch des années 50 du siècle dernier. Des couleurs criardes s’en détachent pour tracer le tableau pittoresque d’un site de villégiature qui inspire l’insouciance et la légèreté : Coney Island. Un moutonnement d’estivants grouille sur la plage, un maître-nageur sur son promontoire (Justin...

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