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Idées - Commentaire

Menaces sur l’unité yéménite

Des militants houthistes dans la maison en ruine du dirigeant houthi Yahya Aiydh, après des bombardements saoudiens, à Sanaa en septembre 2015. Khaled Abdullah/Reuters.

Près de trois ans après l’intervention de la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite, le Yémen reste toujours divisé en deux grands blocs avec, à Sanaa, un pouvoir exercé désormais sans partage par les houthistes, depuis la mort de Ali Abdallah Saleh, le 4 décembre 2017 ; et, à Aden, l’exercice d’une hégémonie politique et militaire des séparatistes sudistes au détriment du président Hadi. 

Les deux alliances politico-militaires, qui se combattaient dans une guerre épuisante dont la population civile a payé un lourd tribut, ont subi en quelques semaines de profonds bouleversements : l’une a totalement éclaté et l’autre bat sérieusement de l’aile, laissant penser que les cartes politiques sont en train d’être rebattues au Yémen. L’insurrection déclenchée par Saleh début décembre 2017 à Sanaa contre les houthistes a certes échoué, mais son neveu Tarek a réussi à fuir la capitale et s’apprête à jouer un nouveau rôle militaire contre ses anciens alliés. Il bénéficie du soutien des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite sans que, pour autant, il ait encore prêté allégeance au président Hadi. Ce dernier voit son pouvoir se réduire considérablement depuis la montée en puissance du mouvement séparatiste au Sud et la cohésion du camp de la « légitimité » apparaît bien fragile. 


Paradoxe 

En février 2017, les forces de la Garde présidentielle avaient déjà affronté une milice sudiste appelée « La Ceinture de sécurité » qui tentait d’empêcher l’avion transportant le président Hadi d’atterrir à l’aéroport d’Aden. Les combats déclenchés dans cette même ville, le 28 janvier 2018, ont cependant révélé le véritable rapport de force prévalant dans les provinces du Sud. Les « forces de la résistance sudiste » ont en effet pris le dessus sur les troupes gouvernementales et ont encerclé le palais présidentiel. Les combats ne cessèrent qu’à la suite de l’intervention d’une médiation saoudo-émirienne. 

L’expansion militaire des houthistes et des forces armées restées sous le contrôle de Ali Abdallah Saleh dans les provinces du Sud en mars 2015 avait forcé le président Hadi à se réfugier à Riyad. Elle a exacerbé le clivage nord-sud et entraîné une mobilisation militaire sudiste pour résister à ce qui apparaissait comme une nouvelle invasion des forces nordistes. La formation de cette « résistance sudiste » n’a cependant pas affaibli le poids des différenciations régionales dans les mobilisations et les positionnements politiques au sein même des provinces du Sud. Le paradoxe est qu’une partie importante du mouvement sudiste prône l’indépendance du Sud tout en fournissant des combattants à l’armée théoriquement placée sous les ordres du président Hadi auquel est refusé l’accès à Aden, la capitale provisoire du Yémen. 

La création du Conseil de transition sudiste à Aden, le 11 mai 2017, a de fait constitué un tournant. Dirigé par Aydarous al-Zoubaydi, l’ex-gouverneur d’Aden destitué par le président Hadi, il rassemble plusieurs factions sudistes qui prônent la sécession du Sud. Cet organe politique est fortement soutenu par les Émirats arabes unis qui se sont taillés une zone d’influence au Sud en armant et contrôlant plusieurs milices. Après le contrôle du port d’Aden par celui de Dubaï, la perspective de voir passer l’île de Socotra aux mains d’investisseurs émiriens est réelle. Les Émirats arabes unis, mais aussi l’Arabie saoudite, soutiennent aussi, dans le Sud, l’expansion d’institutions religieuses salafistes ou wahhabites. 


Le legs des divisions sudistes

Le legs historique de la République démocratique et populaire du Yémen (1967-1990) est crucial pour légitimer les revendications d’indépendance mais il charrie aussi la mémoire des conflits internes du régime socialiste. Celui-ci n’avait ainsi pas réussi à supprimer totalement les divisions régionales héritées de la période britannique. La guerre de janvier 1986, entre différentes factions du Parti socialiste yéménite, avait ainsi révélé au grand jour des rivalités régionales, voire tribales, sur fond de luttes pour le pouvoir entre dirigeants. 

Ces clivages régionaux sont toujours prégnants et se retrouvent dans la composition des différents groupes militaires présents à Aden. Les forces de la « Ceinture de sécurité », commandées par le dirigeant salafiste, Hani Bin Burayk, sont constituées, pour l’essentiel, de combattants provenant de Yafe’. Les forces de sécurité d’Aden dépendent d’Aydarous al-Zoubaydi, président du Conseil de transition sudiste et originaire du gouvernorat de Dale’. La Garde présidentielle, fidèle au président Hadi, se recrute principalement dans le gouvernorat d’Abyan dont il est originaire.

Le front sudiste ne se réduit pas aux forces dissidentes qui contrôlent Aden puisque le Hadramaout et la région de Chabwa disposent de leurs propres forces armées, en sus des troupes gouvernementales : l’élite hadramie et l’élite de Chabwa, soutenues et financées par les Émirats arabes unis. L’existence de forces militaires distinctes dans le Hadramaout reflète aussi un particularisme régional qui pourrait briser l’unité du front sudiste. Certaines élites du Hadramaout sont ainsi tentées par une politique renforçant son autonomie politique et économique, d’autant qu’elle abrite des réserves de pétrole et de gaz et que des liens étroits la lient à l’Arabie saoudite. 

La guerre a fait surgir de nouvelles directions militaires et politiques et a augmenté l’adhésion populaire à l’option séparatiste, même si le risque d’accentuation des particularismes régionaux au sein des provinces du Sud pourrait l’entraver. Elle a aussi accentué le morcellement du pays et condamné les espoirs d’un Yémen démocratique portés par la révolution de février 2011. Le projet d’un Yémen fédéral pourrait renaître. Il viserait alors à consacrer les nouvelles polarités politico-militaires suscitées par la dynamique du conflit, ou à préparer une indépendance du Sud.


 Anthropologue et directeur de recherche au CNRS. 

Près de trois ans après l’intervention de la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite, le Yémen reste toujours divisé en deux grands blocs avec, à Sanaa, un pouvoir exercé désormais sans partage par les houthistes, depuis la mort de Ali Abdallah Saleh, le 4 décembre 2017 ; et, à Aden, l’exercice d’une hégémonie politique et militaire des séparatistes sudistes au détriment...

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