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Idées - Commentaire

Et si Trump renforçait, malgré lui, la coopération internationale ?

Le président des États-Unis Donald Trump, embarquant sur l'Air Force One en novembre 2017. Archives Reuters.

Après s’être affirmés pendant plusieurs décennies comme la colonne vertébrale de l’ordre mondial fondé sur des règles, les États-Unis appliquent sous la présidence Trump un programme de « l’Amérique d’abord » axé sur un étroit nationalisme économique, qui se désolidarise des institutions et accords internationaux. Il semble toutefois qu’une nouvelle forme de coopération internationale – qui contourne Trump – soit en train d’émerger.

Bien entendu, à l’heure où l’administration Trump ne cesse de rejeter des modèles de coopération établis de longue date, le risque d’instabilité mondiale s’accentue. Lors du rassemblement annuel du Forum économique mondial de Davos le mois dernier, le secrétaire américain du Trésor Steven Mnuchin a par exemple envisagé favorablement la possibilité d’un dollar plus faible pour dynamiser le commerce américain. Pour un pays qui utilise la demande étrangère en dollars et bons du Trésors solides pour financer son déficit rapidement croissant, cette conception est pour le moins imprudente. Elle revient par ailleurs à trahir l’engagement traditionnel de l’Amérique consistant à maintenir un système monétaire fondé sur des règles et dissuadant les dévaluations monétaires concurrentielles.

Renouveau de la doctrine Monroe
Sur le plan de la politique étrangère, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson œuvre pour le renouveau de la doctrine Monroe – des principes du XIXe siècle selon lesquels la suprématie des États-Unis dans l’hémisphère nord passe par le maintien à distance des concurrents européens – en Amérique centrale et du Sud afin de contrer l’influence croissante de la Chine. La nostalgie de Tillerson pour cette doctrine de 1823 n’a pas été partagée au sud de la frontière, où, comme l’a fait valoir un observateur mexicain, la doctrine Monroe a « servi à justifier les interventions des gringos », et où l’implication croissante de la Chine est considérée comme un contrepoids à celle des États-Unis.

L’administration Trump a également dévoilé une nouvelle politique nucléaire, plus agressive. Sa « Nuclear Posture Review » prévoit l’emploi de frappes nucléaires en réponse à des menaces non nucléaires, ainsi que le déploiement de bombes nucléaires à « faible rendement » lancées depuis un sous-marin, d’une puissance équivalente à celles qui détruisirent Hiroshima et Nagasaki en 1945. Destinée selon le secrétaire de la Défense James Mattis à faire comprendre aux adversaires qu’ils n’ont « rien à gagner et tout à perdre en faisant usage d’armes nucléaires », cette politique contredit 40 ans de leadership américain dans la réduction des stocks nucléaires et les efforts de non-prolifération.

Sans surprise, les autres États voient de moins en moins en l’Amérique une partenaire stable, et encore moins un leader sur lequel ils puissent compter. D’après un sondage Gallup, la confiance des habitants de 134 pays dans le leadership américain est passée d’une médiane de 48 % en 2016 à seulement 30 % en 2018, avec une chute d’au moins 40 points au Canada, au Portugal, en Belgique et en Norvège. Sur la même période, la désapprobation vis-à-vis des dirigeants américains a explosé de 15 points pour atteindre un niveau médian de 43 %, contre 36 % pour la Russie, 30 % pour la Chine, et 25 % pour l’Allemagne.

À mesure que se détériore la confiance dans le « leadership » international des États-Unis, ce pourrait également être le cas de l’engagement des autres pays pour la coopération – une tendance qui risquerait de finir en course économique vers le bas, voire en conflit violent. Après tout, pourquoi un État respecterait-il les règles s’il n’est pas convaincu que ses concurrents en feront de même ? Le Japon, par exemple, renoncera bien davantage à dévaluer son taux de change s’il pense que l’Amérique s’y refusera elle aussi.

Bien entendu, certaines des déclarations de l’administration Trump se révéleront peut-être des paroles en l’air. Lors de son premier mandat au début des années 1980, le président Ronald Reagan avait lui aussi remis en question l’ordre monétaire international, adopté une ligne plus dure en Amérique latine, et exprimé des doutes quant à la dissuasion nucléaire (préférant l’idée de supériorité nucléaire). Or, au cours de son second mandat, Reagan avait fini par accepter la coopération internationale. Seulement voilà, à l’époque, le leadership américain était quasi-garanti, puisque la seule autre superpuissance mondiale – l’Union soviétique – connaissant le déclin et l’asphyxie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais cela ne signifie pas que la coopération internationale soit pour autant condamnée.

« L’Amérique seule » ?
Dans son ouvrage intitulé Après l’hégémonie (1984), le politologue américain Robert Keohane a fait valoir que la coopération internationale pourrait se poursuivre, même sans une domination mondiale des États-Unis. Son argument clé est que les institutions telles que le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale de la santé, voire des institutions ad hoc telles que le G20, exigent certes la présence d’un leader naturel lorsqu’il est question de leur création, mais pas nécessairement lorsqu’il s’agit de leur fonctionnement. En effet, grâce à ce type d’institutions, le poids du « leadership » est désormais plus léger. Lorsque des gouvernements cherchent à bénéficier de systèmes fondés sur des règles, comme ceux qui régissent les échanges commerciaux mondiaux, ils peuvent le faire dans le cadre d’institutions multilatérales existantes. Ceci permet à une plus large diversité d’États d’assumer un leadership dans différents domaines.

En janvier 2017, après l’annonce de Trump selon laquelle l’Amérique se retirait du Partenariat transpacifique (TPP) – ambitieuse initiative conduite par les États-Unis pour former un important bloc de commerce et d’investissement englobant 12 pays de la ceinture du Pacifique – beaucoup ont supposé que les jours du TPP étaient comptés. Mais un an après, les 11 pays restants ont annoncé leur volonté de maintenir la démarche, dans le cadre d’un pacte rebaptisé Accord global et progressif pour le TPP. De même, après l’annonce de Trump en juin dernier selon laquelle les États-Unis se retiraient de l’accord climatique de Paris, de nombreux observateurs ont craint le pire. Or, fin 2017, tout les autres pays de la planète étaient devenus signataires de l’accord. Par ailleurs, 15 États américains ont formé l’US Climate Alliance, qui s’engage à maintenir les objectifs de l’accord de Paris. Enfin, en remettant publiquement en question l’Otan, alliance de sécurité conduite par les États-Unis, Trump a conduit les Européens à progresser dans leurs propres plans de sécurité commune. Craignant désormais d’être mis sur la touche, voici que les États formulent des objections à cette démarche.

Cela n’a rien de surprenant. Cette forme de coopération internationale qui émerge actuellement promet de refléter des points de vue et intérêts plus divers, les États ajustant leurs politiques en fonction d’une multitude de considérations internationales, et pas seulement des préférences et intérêts des États-Unis. De nouvelles coalitions de coopération pourraient ainsi voir le jour, en parallèle d’une remise à niveau des institutions internationale. Du côté des États-Unis, l’administration Trump pourrait bientôt réaliser que « l’Amérique d’abord » est en réalité synonyme d’une « Amérique seule ».

© Project Syndicate, 2018.
Traduction Martin Morel

Ngaire Woods est fondatrice et doyenne de la Blavatnik School of Government de l’Université d’Oxford.


Après s’être affirmés pendant plusieurs décennies comme la colonne vertébrale de l’ordre mondial fondé sur des règles, les États-Unis appliquent sous la présidence Trump un programme de « l’Amérique d’abord » axé sur un étroit nationalisme économique, qui se désolidarise des institutions et accords internationaux. Il semble toutefois qu’une nouvelle forme de coopération...

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