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Culture - Interview

« Mes peintures me permettent de faire (sur)vivre mes souvenirs de Syrie »

Organisée par Nazih et Asma Yassine, l’exposition « al-Masqat » * de Abd Alatif al-Gimou donne à découvrir la peinture tonique et audacieuse d’un artiste syrien réfugié en Turquie qui tente de réactiver sa mémoire en s’interrogeant sur la douleur humaine.

Abd Alatif Algimou, un artiste syrien qui s’interroge sur la douleur...

Quel a été votre premier contact avec l’art ?

Du plus loin que je me souvienne, l’art, pour moi, a toujours signifié le dessin. Enfant, on me disait déjà que je dessinais bien. Instinctivement, je croquais tout ce qui m’entourait, c’était ma manière de réinventer le réel. Je copiais des toiles et je peignais surtout l’Euphrate à côté duquel nous habitions et où nous nous rendions les dimanches. D’ailleurs, sa couleur, une teinte inimitable de turquoise, n’a plus jamais quitté mes toiles, et on la retrouve même dans celles que je crée aujourd’hui…

En faire une carrière a été une évidence ?  

Le dessin m’est venu naturellement, sans que j’en prenne conscience. À cette période, j’ignorais même qu’on pouvait en faire le cœur d’études et un vrai métier. Jusqu’au jour où un prof d’école qui avait décelé du potentiel dans mon travail m’a encouragé à faire mes classes en art. Je n’avais plus que cet objectif en tête : devenir peintre. Après 4 ans de philosophie, j’ai déménagé à Damas où j’ai intégré la University of Damascus pour un diplôme de beaux-arts.

Quelles ont été vos premières figures de référence ?

Ce n’est qu’au moment de mes études que j’ai véritablement découvert l’étendue du monde de la peinture. C’était fabuleux. D’abord, je ne comprenais pas vraiment l’esthétique et le propos de certains courants, et je m’intéressais beaucoup plus au réalisme, que je trouvais plus accessible, et notamment Rembrandt dont le traitement de la lumière me fascinait. Petit à petit, on m’a initié au surréalisme, à l’œuvre de Dalí particulièrement, puis au modernisme et au futurisme. C’est la somme de ces découvertes qui m’a mené à la création de ma propre signature.

De quelle manière votre art a-t-il évolué depuis le début de la guerre en Syrie ?

Avant le déclenchement de la guerre en Syrie, nous (les artistes) vivions dans une certaine bulle qu’il était difficile de franchir à cause de la pression de l’État et des restrictions qu’il imposait. On peignait en petit, à l’instar de notre réflexion qui était étriquée. Une toile de 1,50 m par 1,50 m était considérée de grande taille et nos œuvres se plaçaient toutes dans un même sillon, sans que l’on n’ait la possibilité d’approfondir nos idées. Plus tard, si mon art s’est alourdi sous le poids de la violence et de la souffrance, il n’en demeure par moins que j’ai acquis une certaine liberté et même de l’audace. C’est comme si la guerre m’avait poussé à ne plus rien garder en moi, à mettre de la couleur comme on assène des coups et à oser autant dans mes compositions que mes sujets.

Vous êtes réfugié à Istanbul. Quel rôle joue l’éloignement actuel de la Syrie dans votre peinture ?

D’une part, mon ouverture sur le monde, bien que celle-ci se soit faite dans des conditions sinistres, m’a permis de peindre en plus grandes dimensions. En fait, tout simplement, je me suis rendu compte de la grandeur du monde que j’ignorais auparavant. D’autre part, la distance avec la Syrie a déclenché en moi un conflit qui se traduit dans mes toiles : j’ai l’impression que mes souvenirs se battent avec la réalité. Dans mon travail, je mets en scène des images, des personnes, des moments tels qu’ils sont restés dans ma mémoire, intacts, vivants, alors qu’en réalité, les choses ont bien changé. C’est ma façon de faire (sur)vivre des souvenirs tel que je le souhaite.

Que signifie « al-Masqat », titre de votre exposition beyrouthine ?

C’est un paysage d’un point de vue aérien. Le pan le plus large de l’exposition est formé de toiles pour l’élaboration desquelles je me suis mis dans la peau des aviateurs au moment où ils larguent des bombes sur le monde, en dessous de leurs yeux.

Quel est le sentiment qui se déclenche alors ?

C’était un exercice laborieux et intéressant car les aviateurs dont je parle jouissent de ces moments. Il a fallu vraiment saisir cet état psychologique qu’ils traversent à cet instant et qui nous est étranger. J’ai donc tenté de me mettre dans cette situation de plaisir que ces hommes ressentent. C’est pourquoi les toiles sont peuplées de couleurs toniques, parfois même solaires, auxquelles on ne s’attendrait pas a priori.

Que représentent les couleurs dans le processus de création ?

Elles constituent mon langage. J’ai l’impression de tisser des liens, voire une relation amoureuse, avec chacune des teintes qui finit par s’imposer telle une évidence.

Comment l’art, le vôtre en particulier, est-il pour vous une façon de résister ?

L’art est avant tout une manière de me raconter, c’est mon outil d’expression. D’ailleurs, même si je ne pourrai malheureusement pas être présent pour l’exposition qui a lieu à Beyrouth en ce moment, les toiles me remplaceront d’une certaine manière. Elles parleront à ma place. Certes, j’exprime la souffrance du peuple de Syrie, mais, plus globalement, ce qui m’intéresse, c’est de coucher sur mes tableaux les souffrances et les maux universels, ceux que traverse tout être humain.

*« Al-Masqat », de Abd Alatif Algimou, jusqu’au 17 février dans les locaux de Stree, rue Monnot.

Quel a été votre premier contact avec l’art ?
Du plus loin que je me souvienne, l’art, pour moi, a toujours signifié le dessin. Enfant, on me disait déjà que je dessinais bien. Instinctivement, je croquais tout ce qui m’entourait, c’était ma manière de réinventer le réel. Je copiais des toiles et je peignais surtout l’Euphrate à côté duquel nous habitions et où nous nous...

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