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Moyen Orient et Monde - Reportage

L’armée yéménite rêve de Sanaa, mais bute sur les montagnes

Les forces loyalistes espèrent faire pression sur les houthis pour qu’ils se rendent et acceptent de négocier.

Des Yéménites membres des comités populaires de résistance qui soutiennent les forces loyales au président Hadi contre les houthis à Nihm. Abdullah al-Qadry/AFP

Ignorant le grondement de l’artillerie lourde, le commandant yéménite Nasr al-Dibani pointe, du haut d’une falaise, la ligne de front qui sépare ses troupes des bases des rebelles houthis contrôlant la capitale Sanaa.
« Quiconque contrôle Nihm contrôle Sanaa », affirme le commandant Dibani, posté sur cette hauteur fraîchement capturée, al-Humra, à moins de 50 kilomètres de la capitale yéménite. Grâce au soutien aérien d’une coalition militaire sous commandement saoudien, l’armée yéménite s’est emparée ces derniers mois de plusieurs bases des houthis dans la chaîne montagneuse de Nihm située à l’est de Sanaa et qui est aux mains des insurgés depuis septembre 2014. Théâtre de sanglants affrontements, Nihm est une voie d’accès cruciale vers la capitale, mais la bataille est encore loin d’être gagnée compte tenu du relief montagneux et des milliers de mines disséminées par les rebelles.
 « Quel est le plus grand ennemi, les houthis ou le terrain accidenté ? Je dirais les deux », soutient M. Dibani, serrant un talkie-walkie dans une main, lors d’une visite organisée pour des journalistes par la coalition. Le commandant explique que ses hommes ont attaqué plusieurs repaires des houthis, des rebelles soutenus par l’Iran, en utilisant des ânes pour porter des provisions, avant de se livrer pendant plusieurs mois à la construction d’une route de montagne. Aujourd’hui, les équipements militaires, le carburant et les provisions sont acheminés à l’aide de camionnettes.
« Les montagnes accidentées de Nihm rendent très difficile la progression, même pour la plus compétente des armées », estime Adam Baron, un expert sur le Yémen associé au centre de réflexion European Council on Foreign Relations. « Cela rend peu probable » un « changement spectaculaire » de la situation à court terme, « même si les deux parties considèrent Nihm comme l’un des plus importants champs de bataille au Yémen », explique-t-il.

Combat à mort
La guerre dans ce pays pauvre de la péninsule Arabique a connu un nouveau rebondissement en décembre quand les rebelles houthis ont tué leur allié, l’ex-président Ali Abdallah Saleh, qui avait fait une ouverture en direction de l’Arabie saoudite. Le conflit s’est encore complexifié lorsque des séparatistes sudistes se sont emparés le mois dernier de Aden, la deuxième ville du pays, où siégeait le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par Riyad. Là aussi, les alliances ont changé. Mais dans leur lutte contre les rebelles houthis, les soldats gouvernementaux à al-Humra semblent plus déterminés que jamais. À l’aide d’un couteau, le commandant Dibani perce une mine antichars dont la forme et les couleurs se confondent avec le paysage. Des centaines de ces engins explosifs sont disséminés à al-Humra, explique-t-il. Du fond d’un trou creusé dans la roche, utilisé par des tireurs embusqués houthis, il sort des textes islamiques, des cigarettes, des jus de fruits et des conserves de fromage.
« Ils mangent comme nous. Ils sont humains », lance le commandant en rigolant. Une odeur nauséabonde s’échappe d’un autre trou, faisant craindre de trouver le cadavre d’un rebelle à l’intérieur. « Ces hommes ont combattu jusqu’à la mort, refusant de se rendre », dit M. Dibani.
Des tracts traînent au sol, probablement lancés par l’aviation de la coalition dirigée par Riyad. « Ô jeunesse heureuse du Yémen, l’Iran veut seulement la destruction de cette nation arabe. Faites confiance au gouvernement légitime du Yémen », peut-on lire.

Honneur et vengeance
Les hommes du commandant Dibani – dont des professeurs, des avocats ou des chercheurs qui ont pris les armes – disent être capables d’avancer rapidement pour chasser les houthis de Sanaa, mais ajoutent vouloir éviter des victimes civiles. « Nous ne voulons pas capturer Sanaa au prix de la destruction de la ville, affirme M. Dibani. Nos familles, nos proches, nos frères se trouvent à l’intérieur. » Les Nations unies accusent au contraire les deux camps d’ignorer les civils et d’entraîner le pays dans le chaos, les épidémies et la famine.
En se rapprochant de Sanaa, le commandant Dibani espère faire pression sur les houthis pour qu’ils se rendent et acceptent de négocier. Selon Elizabeth Kendall, chercheuse sur le Yémen à l’université d’Oxford, il s’agit d’un vœu pieux, en raison notamment des alliances constamment changeantes des tribus contrôlant les alentours de Sanaa.
 « En plus, les houthis ne se rendront pas si facilement, indépendamment de la puissance de feu saoudienne. C’est une question d’honneur et de vengeance, et pas nécessairement de logique militaire », dit-elle. Mais pour le commandant yéménite, face à un ennemi intraitable, il n’y a d’autre choix que d’avancer. Il raconte une récente rencontre entre l’un de ses hommes qui s’est emparé d’un talkie-walkie abandonné par les houthis, et un rebelle se tenant non loin de lui. « Pourquoi avez-vous tué Saleh ? » lui a demandé le soldat à travers l’appareil. « Parce que c’était (un jihadiste de) l’EI (groupe État islamique), comme toi », a répondu le rebelle avant de tirer sur lui. Le soldat s’en est sorti avec une blessure à l’épaule.
Anuj CHOPRA/AFP

Ignorant le grondement de l’artillerie lourde, le commandant yéménite Nasr al-Dibani pointe, du haut d’une falaise, la ligne de front qui sépare ses troupes des bases des rebelles houthis contrôlant la capitale Sanaa.« Quiconque contrôle Nihm contrôle Sanaa », affirme le commandant Dibani, posté sur cette hauteur fraîchement capturée, al-Humra, à moins de 50 kilomètres...

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