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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Israël / Palestine : l’utopie d’un seul État...

Si le basculement rhétorique des dirigeants palestiniens relève encore de la tactique politique, l’alternative d’un État binational travaille sincèrement les Palestiniens.

Un tiers des Palestiniens serait favorable à la solution à un État. Hazem Bader/AFP

Ce n’est plus un tabou. Mais ce n’est pas encore un objectif clairement affiché. Alors que, selon de nombreux analystes, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par le président américain Donald Trump a « enterré la solution à deux États », des vétérans de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont plaidé ces dernières semaines pour une conversion des Palestiniens à la solution à un État. Le 8 janvier dernier, Moustapha Barghouti, candidat malheureux à la présidence de l’Autorité palestinienne en 2005, déclarait au New York Times que l’alternative unitaire était intensément débattue au sein de l’OLP. Un mois plus tôt, le quotidien israélien Haaretz recueillait ces propos sans équivoque de Saëb Erakat, négociateur en chef des Palestiniens sous la présidence Arafat : « Il est temps de transformer notre lutte en faveur d’une solution à un État avec des droits égaux pour quiconque vit dans la Palestine historique, du fleuve (du Jourdain) à la mer (Méditerranée). »

Ces appels à un changement radical des objectifs de l’OLP ont trouvé des précédents dans le passé récent, même au plus haut niveau de l’Autorité palestinienne. Déviant de la ligne officielle, Mahmoud Abbas mettait brutalement la solution à un État sur la table lors d’un discours prononcé à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier. Le 14 janvier dernier, au cours d’une réunion extraordinaire du Conseil central de l’OLP visant à répondre à l’initiative de M. Trump, le président palestinien s’est toutefois gardé d’abandonner officiellement la solution à deux États. Et pour cause : non seulement cette solution est soutenue par la majorité des pays, mais, surtout, l’existence même de l’OLP est intimement liée aux deux entités telles que définies par le processus d’Oslo.

Pour Khalil Chikaki, directeur du Palestinian Center for Policy and Survey Research (Ramallah), interrogé par L’Orient-Le Jour, le leadership palestinien agite au besoin cette solution comme un épouvantail à l’intention des Israéliens : « Mahmoud Abbas mentionne l’État unique surtout à des fins tactiques. C’est une façon d’acculer les Israéliens en leur disant : si vous ne considérez pas sérieusement la solution à deux États, vous ne nous laisserez pas le choix. »


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Sur les réseaux sociaux

Si le basculement rhétorique des dirigeants palestiniens relève encore de la tactique politique, l’alternative d’un seul État travaille sincèrement les Palestiniens. D’après M. Chikaki, dont l’institut sonde régulièrement l’opinion publique palestinienne, l’option unitaire jouirait des faveurs d’environ un tiers des Palestiniens. Une alternative que ces derniers soutiennent d’abord à leur corps défendant, ayant conscience que la colonisation en Cisjordanie a créé un état de fait sur lequel il sera difficile de revenir. Avec environ 20 % d’Arabes vivant à l’intérieur de l’État hébreu, et une proportion semblable de ressortissants israéliens en Cisjordanie, l’entité Israël-Palestine vit déjà dans une réalité binationale. « Les jeunes sont les plus favorables à la solution à un État car ils savent qu’un État palestinien (à côté d’un État israélien) ne satisferait pas leurs aspirations démocratiques », explique M. Chikaki. 

Hamada Jaber est membre du bureau exécutif de la One State Foundation. Formée de Palestiniens et d’Israéliens, l’association fait campagne sur les réseaux sociaux en trois langues (anglais, arabe, hébreu) pour promouvoir un État unique binational, laïc, accordant des droits égaux à tous les habitants de l’ancienne Palestine du mandat. Il précise à L’OLJ que cet objectif est atteignable par étapes, via de multiples arrangements institutionnels. Il n’exclut pas que cela mène dans un premier temps à un système d’apartheid, qui sera « insoutenable pour Israël sur le long terme ». Sous la pression de la communauté internationale et de la majorité de la rue arabe, l’État hébreu muterait vers un État de tous ses citoyens. Pour M. Jaber, ce processus ne peut fonctionner qu’à condition de dissoudre l’Autorité palestinienne : « J’ai milité pendant des années au Parti du peuple palestinien (ancien parti communiste). J’ai fini par admettre qu’il n’y a pas de système politique en Palestine. L’Autorité palestinienne est une dictature qui a largement atteint son maximum après 25 ans d’existence. »


(Lire aussi : La diplomatie parfois contre nature de l’État hébreu)



« Moyen Israël »

Existe-t-il une contrepartie crédible en Israël qui pourrait épouser ces vues palestiniennes ? Seuls les marginaux du débat politique israélien, extrême droite et extrême gauche, ont tranché la question. L’idée d’un État binational démocratique et laïc infuse dans la pensée de gauche avant même la création d’Israël. Les compagnons du poète Yonathan Ratosh imaginaient dans les années 40 une nation « cananéenne » dans laquelle fusionneraient arabes, juifs et druzes. L’idée est perpétuellement ressuscitée depuis. Sa forme politique la plus aboutie est la coalition démocratique Arc-en-ciel oriental à la fin des années 90, couramment appelée Keshet en Israël. Créée par des intellectuels de la communauté mizrahie, Keshet appelle à la création d’un pays multiculturel respectueux de toutes les identités, en particulier celles négligées par l’intelligentsia sioniste à domination ashkénaze : les Arabes et les juifs d’origine orientale (séfarade et mizrahim).

Mais ces idées sortent rarement des salons littéraires et des pubs alternatifs de Tel-Aviv. Elles conservent de rares tribunes dans les colonnes du très à gauche et élitiste Haaretz, ou sous la plume d’écrivains respectés comme Avraham Yehoshua. Mais il n’existe, pour l’instant, absolument aucune traduction proprement politique susceptible d’encourager les partisans palestiniens de l’option binationale.

À l’extrême droite, si le projet politique diverge radicalement, les frontières qui l’abriteraient seront probablement les mêmes. Le « Grand Israël » serait donc l’image altérée de l’État binational. Ses partisans réclament un pays dans les frontières historiques ou bibliques de l’antique royaume du roi David. D’abord défendu par les forces dissidentes de l’Irgoun, dirigé par 

Menahem Begin au moment de la guerre de 48-49, avant que ses miliciens ne soient incorporés de force dans l’armée régulière, le concept du « Grand Israël » appartient aujourd’hui essentiellement à la droite religieuse et nationaliste, et fait référence à la Terre promise par Dieu aux patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Ce territoire biblique déborde en théorie sur le 

Liban, la Jordanie et l’Égypte. En pratique, c’est donc plutôt un « Moyen Israël » que les défenseurs du « Grand Israël » revendiquent. Ses partisans sont parvenus à avancer leurs pions à la Knesset, à travers une constellation de partis d’extrême droite, notamment Israël Beitenou et le Shass, dont le 

Likoud peut difficilement se passer pour gouverner. « Les partisans du Grand Israël éludent totalement la gestion des Palestiniens », souligne à L’OLJ Elizabeth Marteu, consultante pour le Moyen-Orient à l’International Institute for Strategic Studies (IISS).

Pour Hamada Jaber, « le véritable problème est qu’il n’y a pas un seul parti politique qui défend la solution à un État ». C’est pourquoi sa fondation vise à former un parti politique, afin de coordonner avec les supporters israéliens et palestiniens de la solution binationale. Une endurance nécessaire à faire émerger cette solution alternative mise en perspective par Mme Marteu : « Il faut garder à l’esprit que, dans la conscience palestinienne, la bataille se joue sur le temps long. »



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