Entre le président de la Chambre et le ministre des Affaires étrangères, la guerre continue et aucun des deux n’est visiblement prêt à céder... même si depuis hier, les deux camps cherchent à apaiser les tensions tout en restant sur leurs positions. La colère de la rue s’est toutefois relativement calmée, puisqu’il n’y a plus que quelques manifestations isolées. Les proches du président de la Chambre affirment que c’est ce dernier qui est en train d’appeler ses partisans au calme et à la retenue. Alors que des sources officielles précisent que c’est l’armée, qui s’est déployée mardi soir dans les rues, qui a adressé un message ferme aux partisans d’Amal avec interdiction de mettre en danger la sécurité des citoyens et d’endommager les biens publics. Quelle que soit donc la profondeur du conflit qui divise le Courant patriotique libre et Amal, il est totalement interdit de le laisser déborder dans la rue et l’armée frappera fort les contrevenants.
Cette ligne rouge clairement définie, jusqu’où dans ce cas peut aller ce conflit ? Hier, et en dépit de certaines rumeurs alarmistes véhiculées par les médias, le président de la Chambre a déclaré à ses « visiteurs du mercredi » qu’il n’est pas question pour les ministres d’Amal de se retirer du gouvernement ou de chercher à paralyser l’État.
Selon des sources parlementaires, cette attitude responsable de la part du président de la Chambre est dictée par plusieurs raisons.
Tout d’abord, le président de la Chambre a le sentiment que derrière l’éclatement du dernier épisode du conflit entre Amal et le CPL – suite à la diffusion de la vidéo du ministre Bassil qualifiant Nabih Berry de « fier-à-bras » –, il pourrait y avoir une partie occulte qui chercherait à créer des troubles pour aboutir au report des élections. M. Berry lui-même avait déclaré il y a quelques jours que deux États au moins cherchent à empêcher le déroulement des élections à la date prévue, sans les nommer. Et voilà que la vidéo en question se met à circuler sur les réseaux sociaux. Malgré cela, les deux parties ont cherché à absorber le mécontentement populaire et le ministre Bassil s’est empressé de publier un communiqué dans lequel il a regretté la diffusion de cette vidéo filmée pendant une rencontre interne, qui n’était pas destinée au public. Quelques heures plus tard, une seconde partie de cette réunion est diffusée sur les réseaux sociaux, dans laquelle les propos de Bassil à l’encontre de Nabih Berry sont encore plus violents puisqu’il déclare : « Il vaut mieux que nous lui cassions la tête, plutôt qu’il nous casse la nôtre. » La colère s’est donc rallumée et ce furent les incidents dans la rue. S’il est vrai que les propos de Bassil sont intervenus à la suite d’informations sur des pressions exercées par les partisans du président de la Chambre sur la communauté libanaise à Abidjan afin qu’elle boycotte le congrès de la diaspora qui doit se tenir les 3 et 4 février, la rue sympathisante d’Amal n’a pas cherché à le savoir, laissant éclater son mécontentement et sa frustration et soulevant un vent de panique au sein de la population. Le président de la Chambre et ses proches ne veulent pas toutefois être accusés d’exécuter un plan de déstabilisation visant à reporter les législatives. Ils ont donc préféré appeler à la retenue, quitte à favoriser une enquête sur l’existence d’une main occulte qui chercherait à attiser les mouvements de rue.
D’autre part, les proches du président de la Chambre sont conscients du fait que le déploiement des partisans d’Amal dans les rues renforce la popularité du ministre Gebran Bassil au sein de la base chrétienne. Au point d’ailleurs qu’après avoir gardé le silence, les Forces libanaises se sont empressées mercredi de publier un communiqué dénonçant le comportement des partisans d’Amal, en dépit de leurs réserves sur l’attitude du chef du CPL. De plus, le président de la Chambre, qui n’est pas mécontent de montrer sa force dans la rue, ne veut pas cependant que la situation évolue vers cette dérive confessionnelle radicalisée.
Enfin, Nabih Berry et ses proches sont conscients que le cours pris par les développements, notamment le repli confessionnel des deux côtés, met en difficulté leur allié, le Hezbollah, qui est désormais obligé de prendre officiellement position en faveur d’Amal pour des raisons intérieures à la communauté chiite, tout en essayant de ménager le CPL et le président de la République avec lesquels il a conclu une entente en 2006. D’autant que depuis la conclusion de cette entente, de nombreuses parties internes et externes cherchent à la défaire par tous les moyens.
Certes, le mouvement Amal et son chef sont dérangés par certains agissements du Hezbollah, notamment son appui à l’élection de Michel Aoun à la présidence, en dépit des réserves émises par Nabih Berry. Ils sont aussi dérangés par la conférence de presse tenue il y a quelques jours par l’ancien directeur du ministère de l’Information Mohammad Obeid, dissident du mouvement Amal, dans laquelle il avait violemment critiqué M. Berry, ainsi que par l’insistance du Hezbollah à appuyer certaines candidatures chiites qui ne leur plaisent pas. Mais malgré cela, selon ses proches, le chef du législatif ne veut pas ajouter aux difficultés actuelles du parti chiite, qui est la cible d’une véritable campagne régionale et internationale destinée à l’affaiblir. De plus, la dernière déclaration du ministre israélien de la Défense Avigdor Lieberman sur le fait que le bloc 9 appartiendrait à Israël devrait rappeler aux Libanais et à leurs responsables que de véritables menaces pèsent sur le Liban. Ce qui devrait rendre les conflits internes secondaires.
Pour toutes ces raisons, les milieux proches de Nabih Berry estiment que la crise actuelle ne devrait pas s’aggraver, même si les médiations restent encore discrètes et les contours de la solution flous.
Liban - Décryptage
Un conflit ouvert... sous le plafond de la stabilité
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 01 février 2018 à 00h00
commentaires (8)
Aucun doute n'est permis. Ce qui s'est passé ces derniers jours vise les prochaines élections. Ces querelles d'ego de nos dirigeants facilitent grandement la tache des manipulateurs de notre pays. On est devenu la risée du monde! Mais comment nos dirigeants (dont certains pratique l'art de la cité depuis plus de 40 ans) tombent dans ce genre de piège ? Assez de naïveté et debout hommes et femmes de ce pays. Vive notre république libanaise
Sarkis Serge Tateossian
23 h 52, le 01 février 2018