Oya Ustundag ne cache pas son inquiétude. Depuis plus d'un an, cette mère de famille de 49 ans s'insurge contre la transformation du collège public Ismail Tarman, dans le quartier de Besiktas à Istanbul, en école dite « Imam Hatip ». Ces institutions religieuses, qui consacrent une dizaine d'heures de cours hebdomadaires à l'enseignement de l'islam, étaient initialement destinées à former des imams. Elles sont désormais ouvertes à tous les élèves après l'école primaire. Depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP, le parti islamo-conservateur, en 2002, leur nombre a même explosé : de 450 à plus de 2 600 établissements en quinze ans. Aujourd'hui, plus d'un million de jeunes Turcs sont, comme les deux filles d'Oya, scolarisés dans une de ces écoles Imam Hatip. « Nous n'avons pas eu notre mot à dire, s'agace cette parente d'élèves. Les autorités nous ont mis devant le fait accompli ! »
La seule solution pour échapper à ce nouveau carcan pédagogique ? Inscrire ses enfants dans une école privée. Un luxe que beaucoup de familles en Turquie n'ont pas les moyens de s'offrir. À Besiktas, quartier progressiste et laïc, plusieurs parents continuent de protester contre la conversion du collège Ismail Tarman. « Avant, c'était un établissement de bon niveau, peste Oya. Mais, depuis le passage en école Imam Hatip l'an passé, beaucoup de professeurs sont partis et les résultats des élèves ont chuté. Par exemple, le taux de réussite aux concours d'entrée des lycées a été divisé par deux. »
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« Islamiser la société turque »
Officiellement, le gouvernement justifie cette réforme par sa volonté de rendre plus accessible et égalitaire l'éducation au niveau secondaire. En effet, l'inscription dans les lycées Imam Hatip est autorisée à tous les élèves, même ceux ayant échoué aux concours d'entrée des lycées publics classiques, réputés plus sélectifs. Mais, pour l'opposition, la promotion de ces écoles religieuses s'inscrit surtout dans la volonté de l'AKP « d'islamiser » la société turque. En 2012, Recep Tayyip Erdogan, lui-même ancien élève d'une école Imam Hatip, ne cachait d'ailleurs pas son intention de façonner pour l'avenir « une génération pieuse ».
Afin d'atteindre cet objectif, les manuels scolaires ont eux aussi été revisités. Au programme désormais pour les élèves dès l'âge de dix ans : apprentissage de la vie du Prophète et du concept de « bon jihad », celui qui « exalte l'amour de la patrie ». Exit, en revanche, la théorie de l'évolution de Darwin, jugée « trop complexe » par le ministère de l'Éducation. Pour Mustafa Görkem Dogan, du syndicat d'enseignants Egitim Sen, « le gouvernement conservateur souhaite tout simplement former des élèves dociles qui ne se posent pas de questions sur le monde ».
Même son de cloche du côté des universités où des milliers de professeurs ont été licenciés après la tentative de coup d'État en juillet 2016. « Et ceux qui n'ont pas encore été renvoyés ont peur d'être les prochains sur la liste », reprend Mustafa Görkem Dogan.
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« Plus libres de parler »
Dans le supérieur, les programmes sont libres, mais les universitaires sont obligés de s'autocensurer pour ne pas perdre leur travail. « En Turquie, où la délation est régulièrement encouragée par les autorités, les étudiants sont même invités à dénoncer, via une plate-forme internet, les professeurs aux idées non conformes à celles du gouvernement », dit-il. « Ils veulent des gens capables d'enseigner aux étudiants que la terre est plate si notre président le décrète », se désole le syndicaliste.
En réponse à ce verrouillage de l'enseignement supérieur, certains professeurs limogés ont créé des académies solidaires dans plusieurs villes de Turquie, notamment à Ankara, Istanbul et Izmir. Déterminés à transmettre coûte que coûte leur savoir, les enseignants donnent cours dans la rue, dans des parcs ou dans des cafés reconvertis en amphithéâtres. « Nous abordons des sujets qui ne plaisent pas forcément au pouvoir en place, comme l'histoire politique de la Turquie, la théorie des genres ou encore le droit des femmes et des minorités, détaille Aylin*, membre de l'une de ces académies. En fait, les professeurs se sentent beaucoup plus libres de parler ici que dans l'enceinte de l'université !" La jeune femme était, il y a encore un an, assistante de recherche en sociologie. Elle a depuis été mise au ban pour avoir tenu, devant des étudiants, des propos sur « la violence actuelle de l'État ». Lucide, Aylin sait que ces académies solidaires ne sont pas la panacée face à la volonté du gouvernement turc de reprendre intégralement en main le système éducatif. Mais elle s'efforce de rester optimiste : « Bien sûr que nous avons peur pour la suite. Mais savoir que nous sommes dans le vrai, dans le juste, nous donne de la force pour continuer à nous battre. »
*Le prénom a été modifié
Pour mémoire
En Turquie, Erdogan resserre son emprise sur l'armée
Ce type (Erdogan), lors d'une de ses interventions en 2017, avec fierté et insolence a dit ceci : LA DÉMOCRATIE C'EST COMME UN TRAIN, UNE FOIS ARRIVÉ A DESTINATION, ON EN DESCEND. Et c'est encore lui qui a soutenu les pires sauvages de la planète, les terroristes de Daech durant plusieurs années avant de se "rétracter" juste avant leur défaite. Il faut reconnaitre que l'Europe a été trop naïve avec lui, en lui versant plusieurs dizaines de milliards d'Euros en quelques années, et en lui accordant les meilleurs contrats contrats du siècle ...(banques, assurances, terminal pétrolier de Ceyhan) etc etc ....(Ce que lui a permis de consolider la colonne vertébrale de son pays) L'Europe croyait en lui et pensait qu'il servira de modèle de démocratie pour les orientaux ! Hélas, il s’appelle : TRAHISON, GÉNOCIDE, AUTOCRATE, ISLAMISTE DÉGUISÉ EN DÉMOCRATE .... Comment lui faire confiance ?
11 h 05, le 11 novembre 2017