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Moyen Orient et Monde - Éclairage

À Jérusalem, Israël veut gagner la bataille démographique

En cherchant à légaliser l'annexion de Jérusalem-Est, le gouvernement Netanyahu « joue avec le feu ».

Le quartier de Gilo à Jérusalem-Est, majoritairement peuplé par des colons juifs. Ahmad Gharabli/AFP

« Notre Jérusalem... Oh, que j'aime cette ville ! » tweetait mardi soir Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien. Une photo le montrait alors debout, surplombant la vieille ville où cohabitent la mosquée al-Aqsa, le dôme du Rocher, l'église du Saint-Sépulcre et le Mur des lamentations. Ce tweet n'est pas anodin : il souligne la détermination du chef du gouvernement israélien à se poser en maître de la ville « trois fois sainte ». En proposant le rattachement de certaines colonies de Jérusalem-Est à Israël, Benjamin Netanyahu pourrait franchir un grand pas dans cette direction. Une telle tentative de légaliser l'annexion de Jérusalem-Est, majoritairement palestinienne, par la municipalité juive de Jérusalem-Ouest devait être avalisée par le Conseil des ministres israélien la semaine dernière. Le vote a été reporté le dimanche 29 octobre, probablement pour éviter un embrasement dans les territoires palestiniens. Mais le sujet n'est pas écarté pour autant, et le projet de loi sera réexaminé dans les semaines suivantes par les ministres du gouvernement. Son éventuelle adoption pourrait déclencher une dangereuse spirale de contestations, voire une troisième intifada.

 

(Pour mémoire : Un vaste projet pour colons au cœur de Jérusalem-Est approuvé)

 

 

240 logements
En cause : le rattachement de certaines colonies israéliennes de Jérusalem-Est à la municipalité de Jérusalem-Ouest. Les habitants israéliens des colonies de Ma'aleh Adumim, Gush Etzion, Efrat, Beitar Illit et de Givat Ze'ev, ainsi qu'environ 150 000 Arabes, dont un tiers environ disposeraient de la carte d'identité israélienne, seraient placés légalement sous l'autorité civile israélienne, qui est officieuse aujourd'hui. Considérés par le droit international comme vivant dans une zone d'occupation militaire, les résidents palestiniens ont actuellement un accès limité aux services de la municipalité, que ce soit en termes de santé ou d'infrastructures, et sont loin d'avoir des droits égaux à ceux des Israéliens de l'autre côté de la ligne verte.

Cette ligne de démarcation, établie lors de la guerre des Six-Jours (1967), quand Israël avait militairement annexé Jérusalem, est progressivement rendue caduque par une « israélisation » latente. Ce changement des « facts on the ground », c'est-à-dire des réalités démographiques de Jérusalem-Est, est dû notamment à la construction de colonies et au rattachement progressif de Jérusalem-Est à la société israélienne. Israël a approuvé hier encore la délivrance de permis de construire pour 240 logements pour colons juifs à Jérusalem-Est, a indiqué Meïr Turjeman, un adjoint à la mairie israélienne de Jérusalem.

Le projet de loi d'annexion viendrait donc simplement reconnaître un état de fait, selon le ministre des Affaires de Jérusalem et de la Protection de l'environnement, Zeev Elkin, qui a affirmé vouloir améliorer la situation de la population des colonies et communautés visées, qui font partie des plus « israélisées ». « C'est précisément parce que je crois en leur droit de vote et que je veux qu'ils l'utilisent, que je ne peux pas être indifférent face à la perte d'une majorité juive causée non pas par un processus naturel, mais par de l'immigration illégale que je ne peux pas empêcher », expliquait-il le 29 octobre dernier au quotidien Haaretz.

 

Bataille juridique
Pomme de la discorde, cet argument démographique est utilisé par les deux côtés. Israël affirme vouloir combattre la baisse de la proportion de la population juive dans la ville sainte, passée de 74 % en 1967 à 61 % en 2016, selon le Bureau national israélien des statistiques. Mais la fécondité reste en faveur des juifs, qui ont aujourd'hui en moyenne un enfant de plus que les musulmans et bénéficient d'un taux d'accroissement naturel supérieur. La population israélienne dans Jérusalem-Est a même augmenté, de par l'intensification de la colonisation : les juifs y représentent plus de 45 % de la population.

Xavier Guignard, professeur à Paris 1 Panthéon-La Sorbonne, y voit une trajectoire logique. « Le but de cette politique est avoué : l'unification de Jérusalem. Après la victoire militaire en 1967 et la victoire juridique en 1980, le Premier ministre Netanyahu cherche à remporter la victoire démographique. Le nouveau plan prévoit l'installation de 100 000 colons de plus à Jérusalem-Est ! » explique-t-il, interrogé par L'Orient-Le Jour. En 1980, la Cour constitutionnelle israélienne avait en effet adopté la Loi de Jérusalem, qui stipule « l'unicité » de la ville sainte. Mais deux résolutions de l'ONU, votées dans la foulée, avaient immédiatement dénoncé cet argument, qui justifiait l'annexion militaire conduite en 1967. Souad Béchara, avocate auprès de l'organisation de défense des droits des Palestiniens Adalah, renchérit : « Sur le plan juridique, Israël cherche à imposer sa loi, en écartant le droit international. Si les colonies illégales de Jérusalem-Est sont rattachées à la municipalité israélienne, cela revient à les légaliser et normaliser leur statut. »

 

(Pour mémoire : Israël approuve plus de 2.646 logements pour colons en trois jours)

 

Casus belli
Ce projet d'annexion n'est pas la seule mesure prévue par le gouvernement en matière de colonisation. Le gouvernement Netanyahu a multiplié les annonces ces dernières semaines, entre la construction de 3 600 nouveaux logements de colons à Jérusalem-Est ou la construction de nouvelles autoroutes reliant des colonies, à hauteur de 230 millions de dollars. Si toutes ces déclarations restent encore au stade de vœux, tout comme le projet d'annexion, elles montreront une volonté systématique d'Israël de s'accaparer un maximum de territoire et de poids démographique dans les territoires occupés. « C'est la politique qu'Israël poursuit depuis une décennie », explique à L'OLJ Souad Béchara, qui y voit une volonté de rendre impossible la solution à deux États.

Quoi qu'il en soit, il est certain que l'intensification de la colonisation intervient dans un timing pour le moins sensible. « Israël jette une bombe politique sur la réconciliation palestinienne », explique Xavier Guignard, évoquant les négociations entre les frères ennemis du Hamas et du Fateh autour de Gaza. « Pour miner les discussions palestiniennes, Israël veut forcer les deux factions à se polariser, en poussant les Palestiniens vers la guerre. Car une annexion de Jérusalem-Est, c'est un casus belli évident », analyse-t-il.
Reste à voir si ces mesures seront réellement mises en œuvre, compte tenu des pressions des États-Unis, qui veulent éviter, dans le contexte régional actuel, le déclenchement d'une troisième intifada.

 

 

 

Pour mémoire

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