Rechercher
Rechercher

Liban - La vie, mode d’emploi

87- Le salut par la planche

Un ami, qui veut m'aider dans ma tâche de salut, me fournit des sujets sur lesquels il croit que je vais plancher; ces matériaux, une fois dégrossis, rabotés, ajustés (en y laissant tout de même un petit jeu pour respirer et s'amuser), affinés et lustrés ou complètement tarabiscotés (selon l'humeur du jour), pourraient être proposés, m'assure-t-il, comme planches de salut à tous. Il ignore, l'heureux de ce monde, que, pauvre enseignante, je suis noyée dans mes travaux de correction ; c'est pourquoi, à l'instar de mes plus mauvais élèves qui risquent de couler en fin d'année, je vais recourir au copiage, c'est-à-dire dupliquer son message et à peine le retoucher. Avant d'être celle des autres, sa planche de salut sera donc la mienne.
« Évoquer une piscine ne manque jamais de faire naître un sourire de plaisir sur les lèvres de l'auditeur et, quelquefois, de l'envie dans ses yeux. Soudain, c'est comme si, immergé dans un magazine économique et, tournant une page où fourmillent des chiffres et des graphiques ennuyeux ou alarmants, il tombait sur une publicité de voyage aux pays des palmiers et des cocotiers. Mais moi qui suis contraint, pour redresser non une courbe de croissance mais ma colonne vertébrale, de sillonner quotidiennement une piscine mal entretenue à cause des finances désastreuses du propriétaire, je ne souris pas et mes yeux larmoient moins par excès de bonheur chlorophyllien que par surdosage de chlore. Seulement, comme on le dit si bien, il n'est pas de situation dont on ne puisse tirer un enseignement – avec ou sans examen au bout. J'observe ainsi tout ce qui se passe dans et autour de ces quelques mètres d'eau et vois l'humain se montrer, s'étaler et s'y ébattre sans retenue. Durant les mois d'été surtout, ce qui s'y passe est d'un intérêt quasi métaphysique.
Il y a d'abord, bien sûr, les adolescents qui croient que cette surface liquide leur appartient et qu'elle est, en réalité, un podium où il leur est demandé de se produire ; aussi se surpassent-ils en acrobaties insensées, offertes à l'admiration de spectatrices... trop occupées, elles, à se noircir consciencieusement la peau pour leur jeter ne fût-ce qu'un coup d'œil de compassion. Il y a les tout-petits, doublement ceinturés par leur bouée et les bras de leur mère et qui semblent si heureux de l'avoir tout entière à eux qu'on n'a pas de peine à déduire qu'ils n'apprendront jamais à nager... jusqu'au jour où ils seront mis au régime "ordres secs et eau" du maître-nageur. Ils réussiront finalement à flotter, uniquement pour n'avoir plus à l'entendre lancer ses instructions comme de la mitraille. Et alors, ils gagneront comme trophée les regards pleins de fierté de leur maman! Il y a les mamans qui doivent encourager l'un qui commence à barboter tout seul, modérer l'autre qui multiplie plongeons et contorsions, rappeler à la troisième que le "devenir homard" la guette plus sûrement que celui de "déesse noire"... et se dire qu'ils sont quand même en vacances, parce qu'ils portent un grand chapeau de paille sur la tête ! Il y a les enfants avec leurs mots d'enfants pêchés dans je ne sais quel fouillis d'enseignement catéchétique et que vous attrapez vous-même dans le filet de votre mémoire : "Céline, tu n'aimes pas Jésus... sinon tu m'aurais laissé enfiler ta queue de sirène ! " Il y a, de la même eau, un éphèbe qui fait le tour de la piscine avec, sur son dos tatoué... l'effigie que Véronique possédait, pour sa part, imprimée sur son voile! Espère-t-il se faire des disciples sur les bords de ce lac de Tibériade en miniature ? Il y a les nageurs méthodiques qui fendent l'eau de leurs bras comme les bœufs de labourage la terre, sans espoir d'y rien faire lever... sinon un peu de muscle aux bras et aux mollets. Il y a ceux qui "font la planche" et dérivent avec un air béat, insouciants de la panique qu'ils sèment à leur approche. Ainsi fleurit le lotus du nirvana, imperméable à l'agitation de ce monde illusoire.
Les définitions de l'homme sont nombreuses et variées : animal qui se tient debout, pense, parle, rit, prie, affirment les Anciens ; s'impose des limites, se raconte, répond de lui-même et à autrui, ajoutent les Modernes. Peut-être faudrait-il aussi adjoindre à toutes ces spécificités propres à notre espèce celle-ci : est un spectacle constant pour son semblable... et, le sachant, se donne en spectacle. »

Un ami, qui veut m'aider dans ma tâche de salut, me fournit des sujets sur lesquels il croit que je vais plancher; ces matériaux, une fois dégrossis, rabotés, ajustés (en y laissant tout de même un petit jeu pour respirer et s'amuser), affinés et lustrés ou complètement tarabiscotés (selon l'humeur du jour), pourraient être proposés, m'assure-t-il, comme planches de salut à tous. Il...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut