La réconciliation de la Montagne est « inachevée », a jugé Gebran Bassil au cours d'une tournée électorale dans des villages de Aley, en se référant à la visite historique du patriarche maronite Nasrallah Sfeir à Moukhtara, fief de Walid Joumblatt, en août 2001. La visite avait symboliquement « tourné la page » des massacres des chrétiens de certains villages de la région perpétrés en 1983, après le retrait israélien de la Montagne et en 1977, après l'assassinat de Kamal Joumblatt. M. Bassil s'était même permis d'évoquer, à Chartoun, village rasé par les milices, les ossements introuvables d'une trentaine de femmes, d'enfants et de vieillards massacrés à l'époque.
On ne saurait assez dire combien de tels propos, prononcés dans le cadre d'une tournée électorale, sont irréfléchis. À l'exemple de M. Bassil, les habitants de Damour pourraient aussi parler de la grande peur de janvier 1976 et des massacres qui ont précédé leur exode de cette ville côtière. Ils l'ont fait d'ailleurs, il y a quelques jours, après une projection du film de Ziad Doueiri, L'insulte, qui évoque cette « mémoire en folie » dont a parlé Samir Frangié. Dans quelques jours (21 octobre 1990), le fantôme de l'assassinat de Dany Chamoun et des membres de sa famille ressurgira dans nos mémoires. Le 13 octobre, il y a quelques jours, des familles ont commémoré le souvenir des militaires abattus à bout portant, les mains liées derrière le dos, par l'armée syrienne, en 1990. Et une atrocité en convoquant une autre, réapparaîtront dans toute leur laideur les massacres, les infamies, les tortures, les tourments infligés et reçus pendant les années de guerre, les victimes enterrées vivantes, les jeunes mitraillés contre les murs, les grands blessés achevés sur la table d'opération.
Dans le franc-parler de M. Bassil se cache certainement le désir d'une opération vérité. Sauf que l'opération vérité ne se fait pas contre, elle se fait avec. La victime ne se libère pas de son traumatisme en victimisant à son tour le bourreau. On serait alors dans la vengeance. Elle se libère dans un échange de vérités pénible avec son bourreau, au terme duquel leurs deux mémoires vont redevenir libres.
L'acte de libération est intérieur, avant d'être politique : avant les fonctions administratives que l'on reconquiert, les maisons que l'on rebâtit et les tombes sur lesquelles on se recueille, il y a la parole, la parole difficile, l'aveu de la souffrance, le courage de la responsabilité et le passage de la parole au pardon. Ce moment de prise de parole est nécessairement un moment de souffrance, car il s'agit d'un passage de ce qui est enfoui à la lumière, il s'agit d'une purification de la mémoire de tout ce qui l'infeste, de tous les non-dits de la guerre légalement recouverts par la loi d'amnistie, mais humainement toujours vivants.
Nous avons feint l'amnésie en espérant qu'ainsi nous liquiderions la guerre et ferions l'économie d'une réconciliation profonde, douloureuse. Résultat : nous n'en sommes pas plus humains qu'à la veille des massacres, et il suffit d'une étincelle, d'une parole irréfléchie, pour réveiller les souvenirs enfouis et l'exigence de vérité, qui est aussi exigence de justice. Nous pourrions être plus humains, si nous trouvons le courage de la prise de parole et de l'aveu des barbaries et cruautés dont nous nous sommes rendus coupables, les uns envers les autres. Cela est possible. D'autres peuples l'ont fait, mais il y faut un courage et une humanité dont on ne voit pas encore qui est capable, hormis quelques anciens miliciens égarés dans la ville et prêchant dans le désert.
Liban - En toute liberté
Opération vérité
OLJ / Par Fady NOUN, le 18 octobre 2017 à 00h00
commentaires (3)
C au president qu'incombe le devoir de mettre un terme a l'arrogance de bassil le 1er de son nom. celui ci semble n'avoir pas le sens de la dignite des autres, le respect lui etant etranger. faire de la politique C bon,du populisme tt le monde le pratique, de l'arrogance de l'irrespect ? RARES ceux qui les pratiquent
Gaby SIOUFI
17 h 57, le 18 octobre 2017