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Moyen Orient et Monde - Éclairage

La Jordanie à la peine dans sa gestion des réfugiés syriens

Amman justifie les récentes expulsions par des raisons sécuritaires.

Des réfugiés cherchent à collecter de l’eau après de fortes pluies dans le camp de Zaatari, le 12 décembre 2013. Mohammad Hamed/Reuters

Un rapport de Human Rights Watch, paru début octobre, accuse les autorités jordaniennes de procéder à des expulsions sommaires de réfugiés vers la Syrie. Chaque mois sont ainsi déboutés de Jordanie près de 500 d'entre eux, au grand dam des ONG qui dénoncent une procédure ne respectant pas les droits de l'homme.
Depuis 2011, Amman tente de réguler le flux de réfugiés qui, fuyant la Syrie, traversent sa frontière.

Au royaume hachémite, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) recense leur nombre à 650 000, alors que les autorités jordaniennes parlent, elles, de 1,3 million de réfugiés. Mais la situation apparaît de plus en plus critique pour la Jordanie qui compte 9,5 millions d'habitants et doit concilier enjeux sécuritaires et gestion de l'afflux des réfugiés. Amman estime à 10 milliards de dollars le coût de la prise en charge des réfugiés syriens depuis 2011 et en appelle à la générosité de la communauté internationale pour l'aider à en amortir une partie. Un lourd tribut financier mais aussi humain, puisque le débordement du conflit jusqu'à sa frontière a causé la mort de sept de ses soldats le 21 juin 2016, entraînant un renforcement du dispositif sécuritaire jordanien. Mohammad el-Momeni, ministre d'État à l'Information et porte-parole du gouvernement jordanien, appelait d'ailleurs récemment les organisations internationales à « faire pression sur d'autres pays pour accueillir des réfugiés ».

Entre pauvreté et absence de perspectives, l'avenir des réfugiés syriens demeure précaire et la Jordanie peine à garantir l'amélioration de leur sort. Les expulsions sommaires auxquelles elle procède mettent surtout en lumière ses difficultés à gérer une situation qui dure depuis 2011. « Le gouvernement jordanien a le pouvoir de procéder à ces expulsions. Mais savoir s'il le fait dans le respect du droit international est une autre question », explique Bill Frelick, directeur du programme pour les réfugiés d'Human Rights Watch. « La question est aujourd'hui de savoir si les réfugiés ont la possibilité de se défendre contre ces expulsions et de remettre en cause les raisons de leur déportation », ajoute-t-il. Une polémique similaire avait éclaté en 2013, lorsque HRW avait révélé qu'Amman expulsait des Palestiniens de Jordanie vers la Syrie. « La Jordanie est signataire de la Charte arabe des droits de l'homme qui interdit les expulsions collectives, peu importent les circonstances », rappelle Michel Maietta, directeur de recherche à l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). « Ces expulsions vont aussi à l'encontre du principe international de non-expulsion », ajoute-t-il.

D'après la Convention relative au statut des réfugiés des Nations unies, les États contractants, dont fait partie la Jordanie, « accorderont à un tel réfugié un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays ». Elle précise aussi que ces mêmes États « n'expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public ».

Si le royaume hachémite, de son côté, justifie ces nombreuses expulsions par la multiplication des attaques terroristes sur son sol, Human Rights Watch souligne dans son rapport que « les autorités n'ont fourni aucune preuve de l'implication présumée des expulsés » et que ces déportations vers la Syrie ont été effectuées sans le consentement préalable du gouvernement syrien et sans possibilité de contester la décision pour les expulsés. Le cessez-le-feu précaire sur lequel se sont accordés le régime de Bachar el-Assad et les groupes rebelles dans le sud de la Syrie, parrainé par Moscou et Washington, ne garantit pas encore, aux yeux de la communauté internationale, un retour sécurisé de la population syrienne. Si les déportations ont augmenté après les attaques meurtrières de l'État islamique près de la frontière, notamment au point de passage de réfugiés à Rokbane, « le nombre de volontaires pour un retour au pays a lui aussi grimpé avec la stabilisation de la situation en Syrie et l'augmentation des pressions économiques sur la Jordanie », précise Michel Maietta.

 

(Pour mémoire : Coopération et crise des réfugiés au menu des discussions entre Aoun et Abdallah II de Jordanie)

 

Permis de travail
La situation économique de la Jordanie ne garantit pas non plus de perspectives sérieuses pour les réfugiés syriens, même s'ils bénéficient « d'un élan jordanien qui tente de leur en offrir », explique Bill Frelick. Dernier exemple en date, l'organisation et la mise en place d'un Salon de l'emploi dans le camp de Zaatari, l'un des principaux de Jordanie. Financé par l'Union européenne, il permet à une cinquantaine de sociétés du royaume d'y inscrire le nom de potentiels futurs employés. L'objectif à long terme est de « fournir 200 000 emplois aux Syriens » présents sur l'ensemble du territoire, précise l'ambassadeur de l'UE en Jordanie, Andrea Fontana. Si l'initiative est saluée, elle masque néanmoins une autre réalité : « Les réfugiés syriens doivent posséder un permis pour pouvoir travailler légalement, et l'obtenir est onéreux, difficile et pour la plupart d'entre eux hors d'atteinte », explique Michel Maietta. L'Organisation internationale du travail (OIT) a récemment estimé que seuls 10 % des Syriens du camp de Zaatari en possèdent un, tandis que sur les 18 % de réfugiés qui vivent hors du camp et en ont fait la demande, seuls 40 % l'ont obtenu. « La plupart des réfugiés travaillent illégalement et doivent faire face au risque d'être exploités », ajoute Michel Maietta.

En août 2017, le gouvernement jordanien a annoncé la création d'une nouvelle mesure destinée aux réfugiés, qui leur permettra de travailler dans le secteur de la construction sans obligation de détention d'un permis de travail. Mesure qui bénéficiera aux compagnies locales, mais qui « n'améliorera pas les conditions de vie de la plupart des réfugiés en Jordanie », estime Bill Frelick.

Le gouvernement du roi Abdallah II met aussi à la disposition de chaque réfugié une carte de crédit dotée d'un montant de 20 dinars (environ 30 dollars) par mois. Une somme dérisoire mais suffisante pour s'offrir les produits de première nécessité dans les camps.

L'avenir des réfugiés syriens en Jordanie s'écrit en pointillés. « À l'issue de la guerre, les plus pauvres et les plus vulnérables sont susceptibles de rester », explique Michel Maietta. L'opinion publique jordanienne se lasse aussi d'une situation de crise qui n'a que trop duré. « Les habitants du royaume sont généralement très accueillants avec les Syriens », ajoute le chercheur. Mais la montée des tensions après l'augmentation du prix de l'eau et de l'électricité et la multiplication des attentats terroristes sur le sol hachémite n'ont pas facilité l'intégration des réfugiés. « Ils sont stigmatisés et font office de boucs émissaires face aux problèmes économiques et sociétaux », explique Bill Frelick.

 

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