Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Joumana DEBS NAHAS

Pour une culture de la légalité

Il fut un temps où le Liban était considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Ce temps est hélas bel et bien révolu, et ne semble pas devoir revenir de sitôt.
Pourquoi la Suisse ? Pourquoi pas la France, le Royaume-Uni, l'Italie? Parce que le Liban présente, il est vrai, et depuis toujours, des dénominateurs communs avec la Suisse. Les deux peuples ont connu des conflits fratricides ; les divisions communautaires sont une réalité incontournable dans les deux pays ; la diversité culturelle est, a priori, une richesse, autant pour le Liban que pour la Suisse. Seulement voilà, la Suisse du Moyen-Orient n'est plus, ne sera plus ; elle s'éloigne de jour en jour de son alter ego européen, ainsi d'ailleurs que de toute idée que l'on peut se faire d'un pays en bonne santé.
La faute à qui ? À la guerre ou plutôt aux guerres qui ont ravagé le Liban depuis des décennies ? Aux dirigeants qui n'ont pas pu, pas su, qui n'ont jamais vraiment voulu diriger le pays et le mener, lentement mais sûrement, vers un idéal de démocratie que nous ambitionnions un jour d'atteindre ? Aux ingérences étrangères de tous genres et de toutes provenances confondues, qui ont fait et continuent de faire du Liban une carte géopolitique destinée avant tout à servir les intérêts des puissances intervenantes ?
Sans doute un peu de tout cela, mais pas seulement. Le peuple lui-même a sa part de responsabilité dans l'état actuel du Liban et dans tous ses problèmes inextricables, et cela à de multiples niveaux.
On a, depuis toujours, même en temps de guerre, vanté la capacité incomparable des Libanais de se reconstruire, de se relever, de continuer à faire la fête comme eux seuls savent la faire. Le Liban est en effet un pays étonnant, surtout aux yeux d'observateurs étrangers, généralement peu habitués aux paradoxes extrêmes qui jalonnent notre quotidien. Dans un pays devenu presque tout entier un dépotoir à ciel ouvert, la vie mondaine bat son plein, de jour comme de nuit; les centres commerciaux n'ont rien à envier aux boutiques des plus grandes capitales du monde ; les restaurants se veulent raffinés, les soirées promettent d'être déjantées. Les écoles et les universités tiennent le cap, le mouvement économique, essoufflé, essaie de maintenir un rythme acceptable. Tout cela est bien, très bien même. Mais le constat est tout de même formel : le Liban est encore, peut-être même plus que jamais, menacé dans son entité, dans son avenir, dans son devenir.
C'est qu'en réalité, les choses ne vont bien qu'en surface, et encore, pas pour tout le monde. Les enfants, devenus de jeunes adultes, n'ont qu'un rêve : partir. Les moins jeunes n'ont qu'un seul regret : ne pas être partis. Et ceux qui restent ne sont pas heureux. Pourquoi au juste ? Le motif de la sécurité n'est plus de mise, puisque aucun pays au monde ne peut aujourd'hui se targuer d'être logé à meilleure enseigne qu'un autre sur le plan sécuritaire. Pour trouver du travail ? À l'heure où presque partout on peine à venir à bout du chômage, et où les diplômes, même les meilleurs, ne sont plus garants d'un emploi, ce motif est aussi à écarter.
À quoi bon donc partir, tout laisser derrière soi, la douceur du temps, la famille autour, le pays qui nous a vu naître ? Pourquoi d'autres cieux peuvent encore attirer les Libanais et les faire rêver ?
Parce que partout ailleurs qu'au Liban, notamment en Suisse, à laquelle on l'a comparé un temps, il y a un élément essentiel qui soude toutes les communautés confondues : c'est le respect de la loi, seul garant d'une qualité de vie acceptable.
Antoine Messarra, dans un article intitulé « Culture de légalité de la chose publique », affirme que « la culture de légalité en Suisse, c'est sur cette dimension qu'il faut insister ».
Cela ne saurait être plus vrai. S'il y a des éléments que l'on peut et doit emprunter à la Suisse, la culture de légalité en fait certainement partie. Or le Libanais est par excellence l'un des citoyens les moins civilisés du monde. En effet, ce n'est pas tant le manque de lois qu'il faut stigmatiser au Liban, mais bien plutôt le manque de respect de ces lois. De bonnes législations existent pourtant, mais leur non-respect par tous, du simple citoyen au plus haut gradé, en fait autant de lettres mortes.
Les exemples criants ne manquent pas : la loi antitabac n° 174 est aujourd'hui ouvertement moquée par tous. Les contrevenants ne s'aventureraient pourtant pas à enfreindre cette même loi dans les autres pays du monde, mais seulement au Liban. Pourquoi ? Parce que c'est dans la culture même des Libanais d'enfreindre la loi sans être inquiétés. Parce qu'il est encore hélas très facile de soudoyer un agent qui voudrait faire preuve de zèle dans l'application de la loi. Parce que l'administration est si corrompue qu'il n'y a pas une seule personne au Liban qui ne puisse se targuer de « connaître quelqu'un » qui pourrait faire sauter le pv, si jamais on arrive à le dresser.
Ce sentiment d'impunité accompagne les Libanais dans chaque étape de leur vie quotidienne, et renforce d'autant l'amère réalité de vivre dans un pays qu'on ne respecte pas.
On le respecte si peu que l'on n'a absolument aucun scrupule à se débarrasser de tous les détritus possibles et imaginables où bon nous semble. Là aussi, pourtant, la législation existe : le décret 8735/74 pose les règles à ne pas enfreindre et prévoit des sanctions pouvant aller jusqu'à une peine de prison pour les contrevenants. Et pourtant, le Liban ressemble de plus en plus à un dépotoir sauvage : aucun Libanais ou presque ne se sent concerné par la pollution visuelle et environnementale causée par le jet d'ordures en tous genres par-dessus bord. Pourquoi ? Parce qu'ils peuvent le faire sans être embêtés. Parce que ça ne les embête même plus de le faire. Parce qu'ils ne se rendent même pas compte que ce n'est pas bien de le faire.
La question qui s'impose à ce niveau est la suivante : les Libanais veulent-ils vraiment sauver leur pays? L'aiment-ils seulement assez ? J'en doute un peu plus tous les jours.
Dans aucun pays du monde on ne sent un tel acharnement des citoyens à enfreindre la loi, à manquer de respect à toute autorité étatique. Il est vrai qu'encore faut-il que cette dernière soit respectable. Mais c'est là un autre débat...

Docteure en droit
Avocate au barreau de Beyrouth

Il fut un temps où le Liban était considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Ce temps est hélas bel et bien révolu, et ne semble pas devoir revenir de sitôt.Pourquoi la Suisse ? Pourquoi pas la France, le Royaume-Uni, l'Italie? Parce que le Liban présente, il est vrai, et depuis toujours, des dénominateurs communs avec la Suisse. Les deux peuples ont connu des conflits fratricides ; les...

commentaires (2)

QUAND IL MANQUE L,APPARTENANCE A UNE COMPOSANTE DU PAYS LA SUISSE N,EST PLUS QUE PAROLE !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 31, le 17 octobre 2017

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • QUAND IL MANQUE L,APPARTENANCE A UNE COMPOSANTE DU PAYS LA SUISSE N,EST PLUS QUE PAROLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 31, le 17 octobre 2017

  • dans le temps, nous avion un cours intitule- TT SIMPLEMENT " lecons de politesse " et ce une fois la semaine. dans le temps, nous avions un cours de civisme ET son livre aussi comme l'article le dit en passant , l'application des lois est ce qui manque . PERSONNE meme en suisse ne respecte les lois a la naissance. Education ET peur de la loi sont les 2 conditions necessaires .

    Gaby SIOUFI

    11 h 11, le 17 octobre 2017

Retour en haut