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Idées - Liban

Pétrole : une fiscalité favorable à l’État ?

Une plateforme pétrolière offshore. Photo archives AFP

Pour un pays producteur, les recettes pétrolières ont l'immense avantage d'être une importante source de revenus transparents, facilement chiffrables et prévisibles, tout en étant rapides à réaliser puisqu'elles commencent dès le début de la production. Au Liban par contre, l'analyse comparée avec d'autres pays des dispositions fiscales applicables aux hydrocarbures montre que cela est loin d'être le cas. Ces dispositions figurent tant dans le décret (n° 43) du 4 janvier 2017 que dans la nouvelle loi sur la fiscalité pétrolière, votée le 19 septembre. Les recettes auxquelles elles donnent lieu représentent les composantes de la part de l'État dans les revenus pétroliers et gaziers. Leur caractéristique commune est qu'elles sont toutes, sans exception, bien moins favorables à l'État que les normes internationales.

Il en est ainsi de de la redevance (royalty), qui varie de 5 à 12 % pour le pétrole (selon le niveau de la production), tandis que celle sur le gaz ne décolle pas d'un modique 4 %. Par comparaison, le niveau standard mondial – aussi bien pour le pétrole que pour le gaz – se situe généralement, hormis quelques exceptions, autour de 12,5 % de la valeur de la production, allant même jusqu'à 18,75 % dans certaines régions du golfe du Mexique. Il en va de même pour l'impôt de 20 % sur les profits – contre une moyenne mondiale de 26 % dans ce type d'accords – , de l'absence totale de bonus ou du niveau symbolique des taxes superficiaires...

 

Dérives
Par ailleurs, le plafond autorisé pour la récupération des coûts par l'exploitant est de 65 % par an contre une norme de 50 % dans les autres pays. C'est pour avoir trop tiré sur la corde sur ce point dans son contrat d'exploitation du gaz de Sakhaline que la société Shell a été forcée par Vladimir Poutine de renoncer à ce contrat de plusieurs milliards de dollars. Le Liban pourrait-il faire de même quand il se rendra compte qu'il a été dupé sur des points autrement plus importants ?

À ces dérives, le décret n° 43 ajoute un petit tour de passe-passe en fixant à 30 % la part minimale de l'État dans les « profits », contre un minimum de 40-60 % de la production pour le pays hôte dans les régimes de partage de la production (Production Sharing Agreement, PSA) en vigueur dans plus de 70 pays. Selon le même décret, cette part minimale de 30 % des profits pourrait en principe augmenter via des enchères, selon des critères non précisés à fixer derrière la porte avec chacune des sociétés concernées. Cette situation est aggravée par le refus jusqu'ici de créer une société nationale représentant le Liban et tous les Libanais au sein d'une association avec une ou deux sociétés internationales, à l'exclusion des sociétés dites « non opératrices ».

À partir de ces données, une simulation de la mise en œuvre du régime fiscal proposé pour le gaz indique que la part du total des profits que le Liban peut espérer au cours des premières années de production varierait, théoriquement et au mieux, aux alentours de 47 % (NDLR: cette part avait été évaluée entre 55 et 70 % par Talal Salman, le conseiller économique du ministre des Finances, dans un article publié dans l'édition d'avril du Commerce du Levant). Cette part est de loin inférieure à la moyenne de 65-85 % que procurent aux pays concernés les centaines de contrats de partage de la production aujourd'hui pratiqués dans le monde. Elle est même bien en deçà de ce que percevaient les pays producteurs sous le vieux régime des concessions (entre 1951 et le début des années 1970), qui était une redevance de 12,50 % de la valeur de la production, payable en espèces ou en nature, plus un impôt de 50 % sur les profits. Ces écarts énormes traduisent un manque à gagner théorique qui se chiffrerait en milliards de dollars.

 

Imprévisibilité à long terme
À plus long terme, la part des profits pouvant être espérée par le Liban est rendue totalement imprévisible et aléatoire par la dangereuse opacité du processus d'enchères prévu par l'article 24 du décret n° 43, pour déterminer le seuil à partir duquel la part de l'État – fixée à 30 % au départ – commencerait à augmenter en fonction de la rentabilité du projet. C'est parce qu'il est en contradiction avec les impératifs de la transparence et de la lutte contre la corruption que le principe même des enchères, surtout pour ce qui est de la question cruciale du partage des profits, est rejeté dans les autres pays où les accords de production fixent en avance, et en détail, les paliers d'accroissement de la part de l'État. Ainsi les contrats angolais font passer la part de l'État de 50 % pour une production inférieure à 40 000 barils par jours (b/j), à 70 % pour une production supérieure à 80 000 b/j. Un autre exemple significatif est celui d'Israël où la fiscalité pétrolière comprend une redevance de 12,5 % et un impôt ordinaire de 25 % sur les profits, auxquels s'ajoute une taxation – qui va en croissant de 20 à 45,52 % – des superprofits, c'est-à-dire ceux réalisés au-delà d'un seuil de rentabilité de 1,5.

Selon les projections du gouvernement israélien, les recettes attendues de l'exploitation des gisements de Tamar, Leviathan, Karish et Tanin atteindraient entre 130 et 140 milliards de dollars sur la période 2014-2040, dont près de 60 milliards proviendraient de la redevance et de l'impôt ordinaire, et 70-80 milliards de la seule taxation additionnelle des « superprofits ». La part prépondérante de ces derniers d'ici à 2040 est d'autant plus frappante qu'elle ne sera déclenchée qu'en 2018 pour Tamar, et 2028 pour Leviathan.

Non moins inquiétant est le fait que les chiffres rappelés ci-dessus concernant la fiscalité pétrolière au Liban sont sujets à caution et ont été rendus incontrôlables du moment que l'État a été chassé des activités pétrolières par l'article 5 du décret n° 43, et que toutes les manettes qui commandent les dépenses, les recettes, et donc les profits, sont dès lors entre les mains des seules sociétés opératrices. D'autant plus que, selon l'article 16 du même décret, le seul droit reconnu au ministère et à l'autorité de l'Énergie est celui d'envoyer un « observateur » aux réunions du comité de gestion de ces sociétés, tout en précisant que ces dernières peuvent, quand elles le souhaitent, se concerter en son absence...

Last but not least, la loi sur la fiscalité pétrolière ajoute une nouvelle couche à cette opacité, en autorisant les sociétés « préqualifiées » à créer d'autres sociétés « liées à elles » tout en les exonérant des obligations des articles 78 et 144 du code de commerce relatives à l'identité et à la nationalité de leurs actionnaires. Parmi les bénéficiaires de ces largesses figurent évidemment les prête-noms et les sociétés fantômes créées pour l'occasion... Ainsi, après le décret n° 43, qui a neutralisé l'État en l'excluant des activités pétrolières pour le remplacer par des intérêts privés et des prédateurs masqués, la nouvelle loi sur la fiscalité gratifie ces derniers de conditions et de dérogations sans précédent dans d'autres pays, y compris les plus corrompus.

Économiste, expert en affaires pétrolières et énergétiques.

 

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commentaires (3)

LE GATEAU EST DEJA PARTAGE ENTRE TOUS PAR LA CREATION DE SOCIETES FANTOMES APPARTENANT AUX FANTOMAS ALI BABISTES DE CHAQUE PARTIE... QUAND VOUS LES VOYEZ SE TAIRE C,EST QU,ILS SONT TOUS DANS LE COUP...

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 36, le 07 octobre 2017

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Commentaires (3)

  • LE GATEAU EST DEJA PARTAGE ENTRE TOUS PAR LA CREATION DE SOCIETES FANTOMES APPARTENANT AUX FANTOMAS ALI BABISTES DE CHAQUE PARTIE... QUAND VOUS LES VOYEZ SE TAIRE C,EST QU,ILS SONT TOUS DANS LE COUP...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 36, le 07 octobre 2017

  • Bravo, Mr Sarkis, vous persistez et signez... Mais je pense que vous n'avez plus besoin de nous présenter autant d'arguments pour nous convaincre de l'énormité de cette magouille nationale dans cette caverne d'Ali-Baba qu'est devenu le pays, un peu dans le style des narco-trafiquants des cartels de Medellin et de Cali de Colombie (voir la série Narcos), où la corruption à tous les niveaux de gouvernement était incroyable... Mais là où le bat blesse, c'est l'absence totale de réaction du peuple Libanais et des sociétés civiles, à qui appartient cette richesse nationale, non exploitée encore, devenu amorphe, presqu'indiffèrent... On se complaît dans de belles analyses, à donner des preuves scientifiques et des chiffres éloquents, à se révolter intellectuellement: "so what", " le chien aboie et la caravane passe", comme on dit!... Sauf que notre Président a promis de combattre la corruption en priorité et a même nommé un Ministre de la corruption: doit-on en rire ou en pleurer?

    Saliba Nouhad

    18 h 06, le 07 octobre 2017

  • M. Sarkis en remet une couche, en étayant toujours ses dires par des comparaisons chiffrées et ça n'émeut personne! Pour ce qui est de la justice, l'édito de Issa Goraieb vous dit pourquoi. Les ONG, elles, gigotent, brassent beaucoup d'air mais l'oxygène se raréfie en hauteur, c'est bien connu. Le comble du mépris, c'est que l'État ne se fend mêle pas d'une explication de nature à éclairer ses choix en matière de fiscalité pétrolière. Il n'y à dire ou rien à cirer?

    Marionet

    11 h 54, le 07 octobre 2017

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