Près d'un mois après le limogeage de Chucri Sader de la présidence du Conseil d'État, le parti Kataëb a rendu hier un vibrant hommage au juge, lors d'une cérémonie organisée hier au siège du parti à Saïfi. Étaient présents le chef des Kataëb, Samy Gemayel, l'ancien président de la République Amine Gemayel et son épouse Joyce, l'ancien ministre de la Justice Achraf Rifi et l'ancien ministre de l'Information Ramzi Jreige. Il y avait aussi les membres du bureau politique Kataëb aux côtés de plusieurs personnalités.
Si plusieurs voix se sont élevées pour critiquer le limogeage de M. Sader, dans la mesure où il devait prendre sa retraite dans dix-huit mois, de même d'ailleurs que son successeur, Henri Khoury, Samy Gemayel, lui, y a vu « un très grave problème ». Selon lui, « il s'agit d'une tentative claire de dompter l'État et la justice ». « Le pouvoir voudrait remplacer les personnes compétentes et consciencieuses par d'autres qui obéiraient aux ordres du pouvoir au détriment de la loi », a-t-il souligné, estimant que « le pouvoir a adressé un message clair à tous les fonctionnaires de l'État, selon lequel toute personne qui ne lui obéit pas sera démise de ses fonctions ».
Samy Gemayel est même allé encore plus loin, dénonçant « une dangereuse atteinte au principe de séparation des pouvoirs, en vertu duquel l'exécutif ne devrait pas intervenir dans le pouvoir judiciaire, notamment la justice administrative supposée protéger les Libanais et trancher les litiges opposant les citoyens à l'État ».
Exprimant ses craintes quant à la possibilité d'édifier un État de droit au Liban, Samy Gemayel a saisi l'occasion pour tirer à boulets rouges sur le gouvernement, dans la mesure où « non seulement, il tente de mettre la main sur le pouvoir judiciaire, mais semble démissionnaire de son devoir souverainiste et constitutionnel », a-t-il dit, dans une allusion à peine voilée au marché conclu entre le Hezbollah, le régime syrien et le groupe État islamique pour mettre fin à l'offensive « Aube des jurds », lancée par l'armée il y a une dizaine de jours, pour éliminer les terroristes de l'EI.
(Pour mémoire : Chucri Sader prend « les décisions qu’il faut, quitte à perdre la face »)
« Qui a chargé le Hezbollah de négocier ? »
Réitérant son soutien indéfectible à l'armée, le député du Metn s'est adressé à l'équipe ministérielle « absente » en ces termes : « Qui a chargé le Hezbollah de négocier à la place de l'armée, alors que celle-ci a réussi à mener les plus grandes batailles ? Est-ce le pouvoir politique ? Et si oui, lors de quelle séance gouvernementale ? » « Si le Hezb n'a pas été chargé de négocier, le problème devient plus grave. Car il serait en train de prendre des décisions souveraines à la place du pouvoir », a averti M. Gemayel, qui s'est demandé si le chef de l'État, Michel Aoun, approuve l'issue des négociations. Selon le chef des Kataëb, « il est intolérable que l'armée consente de très grands sacrifices pour recouvrer la dignité de l'État et que certains se permettent de négocier à sa place ».
Samy Gemayel a enfin réitéré son appel à la démission du gouvernement, pour permettre à ceux qui sont attachés à la dignité du pays de le diriger.
« Le pouvoir a voulu se venger »
À son tour, Achraf Rifi, dont la présence en ces lieux en dit long sur les perspectives d'alliance politique, voire électorale, entre les deux parties, s'en est violemment pris au gouvernement. Après avoir loué les qualités de Chucri Sader, « duquel le pouvoir politique a voulu se venger », l'ancien ministre de la Justice a commenté le dénouement de l'offensive du Qaa et de Ras Baalbeck. Selon lui, « ce n'est pas la première fois que le pouvoir complote contre le pays. Cela s'explique par la complémentarité entre l'arsenal illégal et la corruption ». « L'État risque de tomber face aux armes illégales et à la mainmise iranienne », a averti M. Rifi, qui s'est adressé au Hezbollah en ces termes : « Votre marché conclu avec l'EI est honteux. Il ne s'agit aucunement d'une victoire. » « Nous continuerons à affronter le projet de mainmise iranienne sur le pays et l'édification du mini-État échouera », a assuré l'ancien ministre de la Justice.
Après d'autres hommages, de l'ancien ministre Ibrahim Najjar et de l'ex-bâtonnier Georges Jreige, Chucri Sader a pris la parole. « Jamais un pouvoir politique ne s'est retourné contre la justice comme nous le voyons aujourd'hui », a-t-il lancé. Déplorant « une dégradation sans précédent des institutions », il a dit : « Jamais, depuis la création du Grand Liban, la corruption n'a atteint ce niveau. »
Pour mémoire
Nadim Gemayel condamne l’éloignement de Chucri Sader
Sur Twitter, Joumblatt évoque la bataille contre l'EI et l'affaire Chucri Sader
commentaires (4)
Dans un pays extrêmement fragilisé comme le Liban, sujet à une forte tension constante, proie à des rivalités diplomatiques provoquées par des puissances extérieures,,,,le pouvoir légitime, (le gouvernement) tient d'un miracle,,,ou presque ! (Rappelez-vous le feuilleton de la vacance présidentielle ,,,,ses causes et ses effets sur la société, une anarchie totale et un mécontentement généralisé). Dans ces conditions : - Il est dangereux de demander la démission d'un gouvernement ,,,(ma conviction) En même temps et au vu des dérapages multiples, et incessants de certaines personnalités, (entre autres le Hezbollah) - La prise de parole d'un parti, à l'endroit et à la place d'un gouvernement (se substituer à lui),,,,cela fait désordre et fait craindre un avenir sombre. Quelque ce soit les intentions d'un parti, (aussi nobles qu'elles soient),,,un parti qui érige son pouvoir à la place du gouvernement, cela finit mal pour la démocratie. (En tout cas pour les institutions légitimes et représentatives) C'est là qu'un parti "souverainiste" comme le Kataëb trouve tout son sens en appelant les forces vives du pays à plus de recentrage autour d'un pouvoir légitime, et plus d'efforts à mieux défendre les intérêts du pays avec les moyens de l'état sans passer par une sous-traitance qui ne fera qu'affaiblir davantage la république. Mes propos résument la situation en lien directe dans l'éviction de Monsieur Chucri Sader de la présidence du conseil d'état.
Sarkis Serge Tateossian
14 h 40, le 30 août 2017