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Liban - La vie, mode d’emploi

80 – Le salut par le refus de salut

Non, je ne parlerai pas du salut par la morgue. Laissons la morgue continuer son travail de mort. Ne lui prêtons même pas nos mots. Ils risqueraient de perdre leur fraîcheur, leur spontanéité, leur serviabilité, leur gentillesse. Main d'enfant qui se glisse soudain dans la vôtre. Car la morgue, c'est la main glacée, le visage de pierre, la bouche cousue, la raideur d'un parapluie.
Vous vous précipitez au secours de vous-même, vous étalez vos pauvres biens pour mendier un peu d'attention, une goutte, un semblant. Vous vous courbez par crainte d'incommoder par trop d'assurance. Vous tendez l'oreille dans l'espoir d'entendre un mot de reconnaissance. Silence tombal. La morgue n'en finit pas de se dresser sur ses ergots. Vous êtes devenu poussin ou vilain petit canard, ou insecte kafkaïen, vous ne savez plus. Vous aimeriez vous cacher sous le tapis (apprends-moi Grégoire Samsa comment on se métamorphose !). Vous aimeriez être vraiment ce néant auquel l'on vous réduit. Vous avez perdu votre visage d'homme, votre nom d'homme, votre voix d'homme.
Mais la morgue sent encore, sinon son vrai noble, du moins son aristocrate, les dentelles et les chiens de race. Aussi, certains excuseraient le trop ancien atavisme, en jugeant belle la pause pour un portrait en pied. Et puis la guillotine justicière est passée par là : elle a raccourci ces tailles trop hautes à la poitrine bombée. Et puis la démocratie est passée par là : elle a rapetissé ces têtes et pointures trop grosses, rabattu les prétentions des hautains avec le caquet de la plaine. Le pire est donc devenu la muflerie, celle du parvenu au pouvoir. Les gros sabots qui vous marchent sur le cœur. Les salutations appuyées accordées aux uns pour vous marquer au fer rouge du dédain, comme on marque ses bœufs. Il rirait de bon cœur, le mufle, en se tapant sur les cuisses, de votre visage déconfit s'il était seulement au milieu de ses anciens compères. Il vous rosserait, le mauvais bougre, pour moins qu'une vétille, si les mœurs encore le permettaient. Le bâton du maître, il l'a volé et rêve de l'exhiber.
Il faudrait lui fixer une muselière à l'âme pour l'empêcher d'aboyer, l'attacher à quelque piquet pour le retenir de se jeter sur la vôtre et la déchirer, le mettre au dressage pour lui apprendre simplement la politesse, lui lire du Pascal pour qu'il sente les miasmes de son cœur, lui lire encore du Pascal pour qu'il sente, pour une fois, son cœur brûler.
Mais lisons tous Pascal, sa distinction entre les grandeurs d'établissement à l'origine arbitraire et les grandeurs de nature, les signes extérieurs de respect dus aux unes pour le maintien de l'ordre social et le silence profond d'estime rendues aux autres par pure liberté.

Non, je ne parlerai pas du salut par la morgue. Laissons la morgue continuer son travail de mort. Ne lui prêtons même pas nos mots. Ils risqueraient de perdre leur fraîcheur, leur spontanéité, leur serviabilité, leur gentillesse. Main d'enfant qui se glisse soudain dans la vôtre. Car la morgue, c'est la main glacée, le visage de pierre, la bouche cousue, la raideur d'un parapluie.Vous...

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