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Toutes proportions gardées

Cessez enfin de vous traiter de tous les noms parce que vous n'avez rien (ou très peu) compris à la manière dont vous allez vous y prendre désormais pour envoyer au Parlement les happy few de votre choix. Rassurez-vous, neuf Libanais sur dix sont sans doute dans votre cas, sans qu'il faille s'alarmer d'une quelconque baisse du niveau national de santé mentale : c'est bien la loi qui est tordue. Toujours est-il que vous avez tout le temps de potasser la question puisqu'il faudra un peu moins d'un an pour préparer le prochain scrutin. Avec un peu d'efforts, vous vous serez familiarisés, d'ici là, avec ces critères de seuil d'éligibilité, de suffrage préférentiel ou encore de coefficient électoral.

L'inévitable corollaire de ce répit est que l'actuelle Assemblée, déjà autoreconduite deux fois, s'offre encore une substantielle rallonge : à défaut de légiférer pour l'intérêt public (ils ne sont pas trop portés sur la chose), les élus en place auront ainsi tout le loisir de peaufiner leur campagne. Ils s'étaient tous jurés pourtant, parole d'homme, qu'en aucun cas ne se reproduirait une telle et infamante reconduction, le président de la République ayant sans cesse qualifié d'illégale l'actuelle législature. C'est bien à celle-ci néanmoins qu'il doit d'avoir été porté à la suprême magistrature ; là non plus, ne vous fatiguez pas à chercher à comprendre...

Négociée hors institutions, adoptée jeudi en Conseil des ministres, votée au pas de charge hier par la Chambre sans souci des contestataires, cette loi électorale rompt, comme on sait, avec le classique scrutin majoritaire, et introduit pour la première fois au Liban le système de la proportionnelle. Mais elle ne le fait qu'en partie, toutes proportions étant précisément gardées : et bien gardées même, puisque des accommodements sont prévus ici et là, de manière à préserver autant que possible les intérêts électoraux des principaux acteurs politiques, qui ne sont autres que les auteurs du texte. Et qui ne se privent pas d'en tirer gloire, y voyant un exploit estampillé cent pour cent made in Lebanon, ce qui n'est pas très charitable au fond pour le renom de l'industrie locale.

Charitables, les membres du consortium qui régente notre pays l'auront néanmoins été envers eux-mêmes. Tout à la fois partenaires de circonstance et rivaux, ils bétonnent avec plus ou moins de bonheur leurs chasses gardées et cadenassent du même coup le club très fermé qui les regroupe en dépit de leurs divergences. Surchargée de particularités locales (made in Lebanon, précisément !), la proportionnelle s'en trouve passablement défigurée. Conçue pour réglementer une société animée par des partis politiques en bonne et due forme sans pénaliser pour autant les vocations individuelles, bien au contraire, la voici au service des chefs de groupes sectaires et de leur clientèle traditionnelle, ce qui ne laisse que la part congrue à la société civile, aux femmes et autres laissés-pour-compte... et rien du tout aux émigrés.

Made in Lebanon, qu'on vous disait...

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Cessez enfin de vous traiter de tous les noms parce que vous n'avez rien (ou très peu) compris à la manière dont vous allez vous y prendre désormais pour envoyer au Parlement les happy few de votre choix. Rassurez-vous, neuf Libanais sur dix sont sans doute dans votre cas, sans qu'il faille s'alarmer d'une quelconque baisse du niveau national de santé mentale : c'est bien la loi qui est...