La comparaison serait, certes, profondément naïve. Elle ne devrait même pas se poser. Mais à certains égards, elle pourrait malgré tout être utile pour nous inciter à marquer une courte pause et réfléchir à notre situation actuelle au plan des services publics. Un survol très rapide des slogans et des programmes (concrets) qui ont jalonné le premier tour des élections législatives françaises illustre le fossé effroyable qui nous sépare, nous Libanais, des conditions les plus élémentaires d'une vie simplement normale et, pourquoi pas, digne. Qu'on en juge par les faits : mise en place d'une police de proximité dans les villages et les quartiers; restructuration des allocations de retraite ; réorganisation des indemnités de chômage; insertion des jeunes dans le monde du travail ; formation professionnelle ; encadrement des personnes du troisième âge; investissements dans l'innovation et la recherche, dans les infrastructures, le numérique et la reconversion industrielle ; gestion de la transition énergétique, etc. Telles sont les préoccupations des électeurs et des candidats français. Et la liste dans ce cadre serait longue.
Pour se replonger dans le cas libanais, une constatation saute aux yeux. Le débat au niveau national porte exclusivement, depuis de nombreuses années, sur des dossiers tels que l'armement illégal du Hezbollah et son impact sur le jeu politique local, les retombées de l'engagement militaire du parti chiite en Syrie et dans d'autres pays de la région, la nécessité de tenir le Liban à l'écart des conflits régionaux, l'équilibre intercommunautaire entre les pôles du pouvoir et, tout récemment, la loi électorale. Autant de sujets à caractère fondamentalement existentiel. Des problèmes cruciaux pour l'avenir du pays, à n'en point douter, qui doivent effectivement être débattus avec le plus haut degré de responsabilité, mais qui demeurent bien loin des soucis de la vie quotidienne des Libanais.
Au-delà de toute considération politicienne, force est de reconnaître une indéniable évidence : depuis le funeste assassinat de Rafic Hariri, en 2005, aucun grand projet d'infrastructure n'a été exécuté dans le pays. Depuis près de douze ans, la gestion et le développement des services publics sont pratiquement, jusqu'à nouvel ordre, au point mort. L'attention des responsables officiels et politiques est restée focalisée exclusivement sur les problèmes d'ordre existentiel. Soit... Un tel débat est important, nul ne le conteste. Mais est-il nécessaire d'attendre le règlement de la question des armes miliciennes pour songer à l'entretien continu des grands axes routiers qui sont devenus avec le temps un complot contre les automobilistes ? Faut-il que la guerre syrienne prenne fin pour assurer à la population un approvisionnement normal en électricité, alors que le conflit interne libanais a officiellement pris fin en 1990 ? Serait-ce trop demander d'assurer, dans un pays à la vocation libérale comme le Liban, un service internet performant ? Le ramassage et le traitement des ordures ménagères seraient-ils liés à l'évolution du rapport de force entre les pays du Golfe et la République islamique des mollahs iraniens ? Faudrait-il que Benjamin Netanyahu consente à avaliser la solution des deux États pour empêcher le déversement des égouts à l'air libre et dans la mer ?
Soulever de telles interrogations paraît peut-être, encore une fois, naïf. Pour ôter, précisément, cette perception, nous rétablirons l'équilibre en acceptant de pousser le réalisme jusqu'à ses derniers retranchements, au risque de choquer les plus idéalistes d'entre nous. Il est de notoriété publique que les principaux partis et pôles politiques du pays sont engagés dans un féroce bras de fer pour un partage du gâteau au niveau des contrats particulièrement juteux négociés à plus d'un niveau. Nous ne pousserons pas la naïveté jusqu'à réclamer la fin de telles pratiques. Dans des pays « normaux », c'est l'État et les citoyens qui financent les partis. Mais dans l'attente d'une telle évolution dans le paysage politique libanais, serait-ce trop demander à nos responsables locaux de juguler (de restreindre, uniquement...) leurs appétits affairistes, de s'abstenir de bloquer certains projets parce qu'ils s'estiment lésés dans les répartitions des parts, et de consacrer un peu de leur temps précieux au fonctionnement a minima (il faut être réaliste...) des services publics? Il y va aussi, après tout, de leur propre intérêt. Car pour se poser en représentant légitime d'une quelconque composante du tissu social libanais, encore faut-il qu'il reste au sein de cette société des citoyens qui accorderaient un quelconque crédit aux « fromagistes » des temps modernes, pour reprendre l'expression de Fouad Chehab.
commentaires (6)
Oui Mr Michel Touma à un type d'hommes comme nos responsables c'est trop demander ! La seule solution est de les écarter du pouvoir ! Pens ez-vous que ce soit possible ? Moi non !
Samira Fakhoury
18 h 51, le 13 juin 2017