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Moyen Orient et Monde - Reportage

Ramadan difficile pour les Égyptiens étouffés par la crise

Alors que le pays fait face à l'une des plus importantes crises économiques de son histoire, le mois sacré est vécu comme celui des ultimes privations pour beaucoup d'Égyptiens.

Rupture du jeûne pendant le mois de ramadan au Caire. Mohammad el-Sahed/AFP

« La crise est finie. » C'est en ces termes purement affirmatifs que le gouverneur de la Banque centrale d'Égypte, Tarek Amer, s'est exprimé il y a quelques jours dans la presse égyptienne. « Le PIB en 2017 a fait un bond, comparé à 2016, et les prix vont chuter en 2018. » Une déclaration qui a provoqué des commentaires circonspects et quelques sourires pas dupes.

Sur le marché d'al-Abdeen, en centre-ville du Caire, les Égyptiens aimeraient bien comprendre comment, après des mois d'inflation record, les prix vont pouvoir chuter. « Une fois que les prix ont augmenté, même quand la situation s'améliore, ils ne redescendent pas, tout le monde le sait », lâche un épicier qui a dû revoir tous ses prix à la hausse.

Les ruelles de ce quartier central grouillent de monde malgré la chaleur suffocante. Partout, les « fanuss » – lampes traditionnelles du ramadan – ont éclos comme des fleurs de printemps sur les devantures des petites échoppes et des maisons.

Les étals sont aussi pleins que les estomacs sont vides. L'Égypte a entamé le mois sacré : 30 jours de jeûne, de recueillement mais aussi de grandes tablées familiales. Pourtant, devant la boucherie d'Ahmad Safwat, Hamida Hussein, femme au foyer et mère de 3 enfants, ne sait pas comment elle réussira à préparer des plats décents chaque soir pour remettre d'aplomb toute sa famille. « Cela devient très difficile pour nous, nous essayons de vivre avec ce qu'on a. Avant, j'avais l'habitude d'acheter 2 kilos de tomates, maintenant je ne peux plus me le permettre parce que toutes les factures ont augmenté, je n'en achète qu'un seul. Ce mois-ci, c'est encore pire parce que les prix augmentent encore plus. »

Selon la Banque centrale d'Égypte, rien qu'au mois d'avril, les prix des fruits et des légumes ont augmenté respectivement de 5,5 % et 7,5 %, la viande rouge de 4 %, le poisson et les fruits de mer de 8 % parmi d'autre biens de consommation courants comme le lait ou le fromage. Le mois dernier, l'inflation annuelle a atteint 33 %, culminant jusqu'à 44 % pour la nourriture. Les analystes indépendants considèrent d'ailleurs que comparés à la même période en 2016, les prix ont même doublé, parfois triplé.

Cette situation fait suite à la décision des autorités égyptiennes en novembre de « libérer » la monnaie en laissant son taux de change flotter : condition sine qua non à l'obtention d'un prêt de 12 milliards de dollars du FMI. En quelques jours, le billet vert qui s'échangeait contre 8,8 livres égyptiennes est passé à plus de 18 livres. Une mesure « inévitable », selon le président Abdel Fatah al-Sissi.

 

« Tout est devenu beaucoup trop cher »
« Nous vivons des jours noirs, comme on n'en a jamais connu auparavant », se désole une commerçante assise au coin d'une rue. « On n'arrive plus rien à vendre. Ces pommes de terre-là, 5 jours que je n'arrive pas à les vendre ! Je n'arrive plus à nourrir mes enfants », dit-elle.

Même son de cloche un peu plus loin. À l'intérieur du marché, Mahmoud Hazem, vendeur de poulets, a vu ses revenus s'écrouler. Avant, il écoulait une dizaine de poulets par jour. Aujourd'hui, il se dit satisfait s'il parvient à en vendre trois. « Je ne vends pas le quart de ce que je vendais dans le passé. Mais c'est devenu trop cher avec l'inflation, surtout pendant le ramadan. » C'est un cercle vicieux : la production revient plus cher, les prix de ses produits augmentent, les acheteurs sont moins nombreux, il doit donc accentuer la hausse pour s'y retrouver. Alors qu'en période de ramadan, face à un pic d'enthousiasme et de consommation, les vendeurs augmentent habituellement un peu leurs prix pour faire plus de bénéfices, la pratique est devenue une véritable nécessité. « Avant, j'achetais la viande 48 livres, maintenant, c'est 68, le poulet, c'est 36 au lieu de 28 », s'agace Hamida Hussein.

Pour faire face à ces hausses, certains Égyptiens sont d'ailleurs obligés de changer leurs habitudes alimentaires, même pendant le mois sacré du ramadan.
Dans les allées du marché, un vieil homme se plaint : « Tout est devenu beaucoup trop cher. Les noix de cajou, c'est le pire », assure-t-il. Fruits séchés et noix, petits plaisirs du ramadan que l'on trouve généralement en abondance sur les tablées familiales, sont devenus intouchables pour une partie de la population. Les 250 g de noix de cajou, ni torréfiées ni assaisonnées, sont vendues à 98 livres, soit près de 400 livres le kilo (22$). Inabordable.

Même constat du côté des fruits frais. Ahmad Salah assure que sa mère n'a pas stocké de grandes quantités de fruits, comme elle pouvait le faire les années précédentes. « Avant, ma mère collectait toute sorte de fruits qu'elle plaçait au congélateur spécialement pour le mois de ramadan. On avait un congélateur entier rempli : un tiroir pour les mangues, un tiroir pour les goyaves, etc. Maintenant, c'est devenu plus intéressant d'acheter les petits sachets de jus de fruits industriel. Ce n'est pas aussi bon que le jus frais mais avec un sachet de concentré, tu peux faire 5 ou 6 verres. Avec un kilo de mangues, tu fais 2, 3 verres, maximum. On ne peut plus se le permettre », assure le jeune homme.

Et le rationnement va plus loin. Certains affirment désormais adopter un régime végétarien face aux prix qui flambent. « Beaucoup d'adultes abandonnent certains aliments comme les protéines animales, parce que la priorité, c'est de nourrir les enfants. De bonnes protéines, pour eux c'est important, sinon, ils ne grandissent pas bien et deviennent fragiles. Le poulet était récemment devenu l'alternative à la viande et au poisson devenus trop chers, mais même ça, on ne peut plus », assure Ahmad Safwat, le boucher. Même le prix du riz a doublé, forçant les plus pauvres à augmenter leur consommation de pain en remplacement. Certaines boulangeries assurent d'ailleurs que leur vente ont doublé ces derniers mois : un phénomène qui révèle à quel point la population souffre et comment le programme gouvernemental de subvention du pain permet à nombre de familles de survivre.

 

« La crise n'est pas terminée »
« La crise actuelle est terrible », confirme Amr Adly, économiste associé au Carnegie Middle East Center. « Les taux d'inflation, y compris officiels, sont les plus élevés jamais enregistrés depuis la fin des années 1980. Je peux dire que c'est la pire crise économique que cette génération d'Égyptiens ait connue. »

Et cette crise, contrairement aux déclarations officielles, est loin d'être terminée, selon le spécialiste : « Lorsque le gouvernement a adopté les mesures imposées par le FMI il y a sept mois, l'économie égyptienne souffrait déjà d'une croissance faible et d'une inflation élevée, ce qu'on appelle la stagflation. Cette situation n'a pas changé », explique-t-il. « Cette stagflation s'approfondit à mesure que l'inflation augmente. La crise n'est donc pas terminée », met en garde le spécialiste.

Et pour cause, les Égyptiens ont encore de difficiles jours devant eux : le gouvernement vient notamment de mettre en place la TVA. Une réforme repoussée depuis de nombreuses années face à la peur de déclencher des mouvements sociaux. Et ce n'est pas tout. À compter du 1er juillet, début de la nouvelle année fiscale, le pays sera témoin d'une nouvelle hausse des prix et d'une réduction de certaines subventions, notamment sur le carburant, comme imposé par le FMI. Car pour toucher la seconde partie du prêt, l'Égypte doit réduire ses subventions sur l'énergie de 1,75 % de son PIB à moins de 0,5 %.

Dans un pays où plus de 29 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 2 dollars par jour, le président égyptien Abdel Fatah al-Sissi a promis une série de mesures économiques et des allégements fiscaux pendant le mois sacré pour « aider la classe moyenne et les personnes aux plus faibles revenus ».
« Oui, il a dit qu'il le ferait », explique Hamida Hussein, la mère de trois enfants. « Nous sommes désespérés. Le gouvernement doit nous donner une bouffée d'air frais. »
Mais après ? « Sur le court terme, il faut s'attendre en réalité à ce que la situation s'aggrave avant qu'elle ne puisse à nouveau s'améliorer... », confie Amr Adly alors qu'au même moment, le Parlement discute d'une nouvelle loi visant à supprimer les subventions aux familles de plus de 3 enfants.

« La crise est finie. » C'est en ces termes purement affirmatifs que le gouverneur de la Banque centrale d'Égypte, Tarek Amer, s'est exprimé il y a quelques jours dans la presse égyptienne. « Le PIB en 2017 a fait un bond, comparé à 2016, et les prix vont chuter en 2018. » Une déclaration qui a provoqué des commentaires circonspects et quelques sourires pas dupes.
Sur...

commentaires (2)

AILLEURS C,EST PIRE ENCORE...

LA LIBRE EXPRESSION

20 h 08, le 11 juin 2017

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Commentaires (2)

  • AILLEURS C,EST PIRE ENCORE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 08, le 11 juin 2017

  • donc, les contrats d'armement négocié par Normal 1er et Le Drian , étaient aussi bidons que toxiques ! , même que , j'ai écris ici même , il y a environ 9/10 mois , que le Caire en faillite , n'a pas la tune pour acheter des Rafales ! ,mais pendant ce temps là , la France de Normal 1er ,présentait ce "deal risqué" comme un succès à l'export...!

    M.V.

    15 h 30, le 11 juin 2017

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