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Liban - Boussole

D’Iran et d’Arabie saoudite

Le déchirement du Liban entre l'Iran et l'Arabie saoudite est moins grave que celui entre Israël et la Syrie dans les années 1978-1984. Toutes les guerres intestines de l'époque, les voitures piégées, l'invasion de 1982 y étaient ancrées, comme en a résulté l'occupation du Sud depuis 1978 et jusqu'à la libération en juin 2000. Malgré le facteur israélien persistant, nous ne sommes plus dans le même ordre d'intensité que sous la tenaille précédente.

Pourtant, le déchirement du pays entre l'Iran et l'Arabie saoudite, comme en témoigne le sommet de Riyad, est plus existentiel dans la mesure où les alliances chrétiennes avec Israël à l'époque n'étaient jamais identitaires, alors que le miroir des communautés sunnite et chiite du Liban reflète directement le conflit transrégional entre les deux grandes communautés de l'islam. La rivalité Riyad-Téhéran est profonde, et le Liban est l'un des cinq lieux de confrontation ouverte entre le chiisme et le sunnisme mondialisants. Les quatre autres sont la Syrie, le Bahreïn, le Yémen, et l'Irak, où le sang coule ouvertement, sans compter les frontières maritimes directes dans le golfe Arabo-Persique, qui risque de s'embraser à tout moment.

La sagesse a recommandé la politique de neutralité sous la présidence de Michel Sleiman, « politique de distanciation ». On sauve les meubles en s'écartant du conflit autant que possible. La réalité est plus tenace, parce que l'influence ou le suivisme, là aussi question de perspective, opèrent en profondeur. Il suffit de voir les calicots dans les quartiers populaires respectifs. Les élections prévues cet été seront lourdement obérées de financements iranien et saoudien.

Peut-on faire des nuances dans la distance à prendre par rapport aux deux gouvernements ?
Le carcan saoudien sur sa société est lourd : pas de mixité, pas de culture, pas d'élections. En Iran, il y a mixité, il y a une vie culturelle et il y a une compétition apparente durant les élections nationales. Ces éléments sont importants, mais ils ne sont pas décisifs. Le manque de respect aux droits de la personne, surtout de la femme, caractérise les deux gouvernements. Il n'existe pas d'alternance, en Arabie saoudite comme en Iran. Pour l'Arabie saoudite, il faut lire l'ouvrage de Madawi al-Rasheed, Muted Modernisms, pour se rendre compte de l'intolérance du régime envers tout genre d'opposition, surtout l'opposition non violente. En Iran, il suffit de voir les deux anciens candidats à l'élection présidentielle encore aux arrêts huit ans après les élections tronquées de 2009. Le pouvoir y est aux mains d'une dictature religieuse à la tête de laquelle se trouve le « rahbar », le guide-leader tout-puissant, choisi par une assemblée d'« experts » religieux, « Majlis-e khubregan ». La Constitution iranienne ne cache pas sa conviction que les hommes de religion savent mieux que le peuple quel religieux porter au pouvoir suprême. En Arabie saoudite, on fait encore moins dans le chichi constitutionnel : le roi est un monarque absolu formellement à la tête de tous les pouvoirs suivant la Charte proto-constitutionnelle décrétée en 1992.

Jusque-là, dans la balance de l'autoritarisme religieux, c'est kif-kif. Reste que le poids saoudien dans la politique libanaise est moins lourd. Le système d'influence iranien est fort au sens coercitif du terme. Le parti de Dieu est une création iranienne directe depuis sa naissance au lendemain de l'invasion israélienne. Il faut se souvenir que les Iraniens n'avaient pas permis qu'un parti ainsi nommé s'établisse chez eux. Les réseaux politiques et militaires sont intenses entre Téhéran et Beyrouth, et comprennent maintenant la Syrie, l'Irak et le Yémen. Le secrétaire du parti prône allégeance formelle au leader iranien. La banlieue sud ressemble à un faubourg de Téhéran. Dans le cas de l'Arabie saoudite, l'influence est moins directe, et on n'a jamais accusé Riyad d'assassinats au Liban. L'allégeance évidente de politiciens libanais sunnites, y compris les Premiers ministres successifs, est très peu doctrinaire, et la propagande wahhabite reste contenue au Liban. L'influence saoudienne sur la classe politique opère dans un contexte moins militant, plus généreux en investissements, généralement sans ramifications violentes, dont meurtres et interventions militaires ouvertes, que l'influence iranienne a produits.

Le poids de l'Iran est donc nettement plus lourd. Mais trop de nuance n'aide pas en politique. Renvoyer les deux États dos à dos s'est traduit par une distanciation utile, même s'il faut objectivement prendre en compte la nature bien plus délétère de l'influence iranienne et la montée en puissance tangible de ses alliés libanais.
« Ni Iraniens ni Saoudiens » reste un slogan stratégique utile pour le pays. On pourrait l'améliorer, par exemple, en reconnaissant un droit aux opposants iraniens et saoudiens non violents de trouver refuge à Beyrouth. Eh quoi, on peut rêver...

 

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commentaires (4)

C'est marrant et facile à comprendre, faut juste remplacer bensaoudos par israel, pays envahisseur et usurpateur . Tout le reste reste the same

FRIK-A-FRAK

11 h 49, le 01 juin 2017

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Commentaires (4)

  • C'est marrant et facile à comprendre, faut juste remplacer bensaoudos par israel, pays envahisseur et usurpateur . Tout le reste reste the same

    FRIK-A-FRAK

    11 h 49, le 01 juin 2017

  • pourquoi donc decrire les 2 systemes ? je ne comprend pas ! et le(s) Libanais dans tout ca ? allons nous encore et encore rejeter la faute aux Italiens ?(chouchou dixit) pensons nous que le(s)libanais est aussi suiviste que cela? le(s) libanais ne fo0nt que profiter d'une facon ou d'une autre des mannes de ces 2 pays afin d'arriver a leur but - un peu plus de pouvoir les rassemblement/les partis qui suivent l'un ou l'autre se F... pas mal du systeme applique dans le pays de leur sponsor. nos gens a nous- meme le hezb-ainsi que son sponsor savent tres bien qu'il leur sera IMPOSSIBLE de calquer le systeme au Liban. alors ? alors ? appliquons nous a decortiquer objectivement notre -non systeme- et nos politiciens a nous. pt't alors qq chose de bon en emergera qui fera alors un vrai systeme politique , digne de ce nom.

    Gaby SIOUFI

    09 h 53, le 01 juin 2017

  • Mais cela servirait à quoi? Ils vont nous tomber dessus tous les 2 non?

    Bery tus

    08 h 11, le 01 juin 2017

  • Mais oui, Mr Mallat, votre analyse est assez claire et objective, mais comme vous le dites à la fin, on peut toujours rêver en couleurs si on s'imagine que le Liban peut rester loin de la tourmente et décider du "ni iraniens ni saoudiens"! Malheureusement, le poids de l'Iran est, en effet, beaucoup plus morbide et dangereux surtout par le pouvoir de nuisance militaire et chantage politique, et ne pourra que mener à une radicalisation de la rue sunnite, encourager l'extrémisme type Daesh déjà bien établi avec les réfugiés syriens, et c'est parti pour la gloire.. J'aimerais pouvoir vivre dans les rêves, mais la réalité nous rattrape: non, l'avenir n'est pas brillant!

    Saliba Nouhad

    03 h 53, le 01 juin 2017

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