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Moyen Orient et Monde - Contestation

La conjoncture tunisienne n’est désormais plus exempte d’incertitudes

Alors que le gouvernement de Youssef Chahed est en place depuis moins d'un an, une crise de confiance semble s'installer à l'égard du pouvoir politique.

Des Tunisiens manifestant contre la corruption, devant le siège du Premier ministre. Fethi Belaid/AFP

La mort d'un jeune manifestant lundi 22 mai à el-Kamour, situé à une centaine de kilomètres de Tataouine, inquiète. La crainte des autorités tunisiennes quant à une escalade s'intensifie dans cette région où les revendications sociales se font de plus en plus fortes ces dernières semaines. En effet, la tournure des événements n'est pas sans rappeler janvier 2016, lorsque la plus importante contestation sociale depuis la révolution de 2011 avait eu lieu après la mort d'un manifestant. L'intensification des protestations intervient dans un contexte tendu à l'échelle nationale, caractérisé par l'« état d'urgence », en vigueur depuis 2015, et une vive grogne sociale envers le jeune gouvernement de Youssef Chahed. Le forum tunisien des droits économiques et sociaux a enregistré près de 1 500 mouvements de protestation sociale en Tunisie pour le seul mois d'avril.

 

(Pour mémoire : Deux islamistes tués dans une fusillade avec la police en Tunisie)

 

Alors qu'un scrutin municipal attendu depuis 2015 se tiendra normalement le 17 décembre prochain, la démission du chef de l'Instance supérieure indépendante électorale (ISIE), chargée de la poursuite du processus démocratique dans l'unique pays rescapé du printemps arabe, a fragilisé la confiance politique des Tunisiens. « Quelle qu'en soit la raison (...), c'est un fait grave qui aura d'importantes répercussions. L'ISIE est l'une des rares instances institutionnelles indépendantes de la nouvelle Tunisie », a souligné l'analyste Sélim Kharrat, interrogé par l'AFP. Cette démission intervient alors que l'Instance Vérité et Dignité (IVD), créée en 2013 afin de recenser les violations des droits de l'homme commises ces dernières décennies en Tunisie, a émis de nombreuses critiques concernant l'absence de coopération de l'État. Elle fait aussi entendre sa voix alors que le projet du président Béji Caïd Essebsi dit de « réconciliation » attise la colère des Tunisiens. Prévoyant l'amnistie de faits de corruption en échange d'un dédommagement, ce projet de loi acquitterait des responsables proches de l'ancien dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, président tunisien de 1987 à 2011 poussé au départ par la révolte populaire.

 

(Lire aussi : Deux ans après, le procès de l'attentat de Sousse s'ouvre à Tunis)

 

Une situation économique et sociale fragile
Si la Tunisie est parvenue à faire avancer sa transition démocratique depuis 2011, elle reste aux prises d'un contexte économique et social contrasté que le gouvernement de Youssef Chahed n'arrive pas à résoudre. Selon des chiffres récemment publiés par l'Institut national des statistiques (INS), l'économie tunisienne a enregistré une croissance de 2,1 % au premier trimestre 2017 par rapport à la même période l'année dernière, et son taux de chômage a légèrement reculé. Néanmoins, 31,2 % des jeunes Tunisiens sont au chômage, dont les diplômés de l'enseignement supérieur, contre 15,3 % de la population active du pays. Une situation illustrée à Tataouine ou Kairouan, d'où émanent des revendications sociales mettant en question le gouvernement Chahed d'union nationale.

Les vives critiques émises à l'égard du gouvernement sont révélatrices de la crise sociale que vit actuellement la Tunisie. Elles interrogent aussi sur la pertinence d'un gouvernement « d'union nationale » dans le processus de transition démocratique tunisien, mis en place après la révolution de 2011. « La formule d'union nationale adoptée par la transition tunisienne avait eu pour caractéristique, particulièrement précieuse, d'éviter la fracture contre-révolutionnaire de l'Égypte de Sissi », explique François Burgat, chercheur à l'Institut d'études et de recherches sur le monde arabe et musulman (Iremam), interrogé par L'Orient-Le Jour. « Mais ce consensualisme, s'il a permis d'éviter la case violence, a eu un coût : il a privé le pays jusqu'à ce jour d'un acteur oppositionnel crédible, ce rôle étant dès lors laissé tout entier aux formes d'opposition extraparlementaire », ajoute François Burgat. C'est ce que payent aujourd'hui les pouvoirs politiques, la rue étant devenue le théâtre des critiques adressées au président tunisien et au gouvernement. Et le manque de stabilité de ce dernier ne contribue pas à rassurer la société civile.

 

(Pour mémoire : Tunisie : l'état d'urgence prolongé d'un mois)

 

Un gouvernement en état d'urgence
Huit mois d'exercice et déjà trois remaniements partiels, dont deux cette année, pour le gouvernement de Youssef Chahed. S'il pouvait espérer donner un deuxième ou troisième souffle à son gouvernement par le limogeage de certains ministres, il reste confronté à des mouvements sociaux d'envergure, de Tataouine à Kef. L'arrestation de quatre hommes d'affaires, dont un responsable douanier, soupçonnés de financer certains mouvements de protestation tunisiens montre que le chef du gouvernement n'entend pas se laisser faire, encore moins dans un contexte d'« état d'urgence ». L'interdiction des grèves et des réunions fait partie de cette mesure d'exception en vigueur dans le pays depuis 2015, suite à une série d'attentats jihadistes. La semaine dernière, la décision a de nouveau été prise de le prolonger d'un mois. Si l'objectif affiché de l'État est la lutte contre le terrorisme, les raisons officieuses restent en suspens. « Il est clair que la conjoncture tunisienne n'est désormais plus exempte d'incertitudes », conclut François Burgat.

 

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