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Portrait : Bayrou, le faiseur de roi enfin récompensé

François Bayrou, photographié ici en avril 2016, est ministre de la Justice, avec rang de ministre d'Etat, au sein du gouvernement d'Edouard Philippe. AFP / JOEL SAGET

Faiseur de roi à défaut de pouvoir conquérir lui-même le pouvoir, le président du Mouvement démocrate (MoDem), François Bayrou, voit enfin récompensée sa quête du pouvoir par le poste de ministre de la Justice, avec rang de ministre d'Etat.

 

A près de 66 ans, cela fait de ce béarnais ombrageux et obstiné l'un des ministres les plus âgés du gouvernement du plus jeune président de la Ve République, Emmanuel Macron, à qui il a apporté un soutien sans doute décisif le 22 février 2017.

L'ex-ministre de l'Economie d'un gouvernement de gauche n'était pourtant pas, au départ, un modèle pour le maire centriste de Pau, qui n'avait pas de mots assez sévères pour dénoncer ce candidat des "puissances de l'argent". Longtemps François Bayrou a cru qu'un destin présidentiel lui était réservé. "Il répétait souvent que François Mitterrand lui avait dit qu'il serait président", témoigne Jean-Luc Bennahmias, écologiste et ex-cadre du MoDem.

 

Mais après trois tentatives infructueuses (6,8% au premier tour de la présidentielle de 2002, 18,57% en 2007, 9,1% en 2012), François Bayrou le "cabourut" ("tête dure"), à qui les sondages prédisaient une élimination sans gloire, a renoncé à retenter l'aventure et proposé une alliance à Emmanuel Macron. Un "geste d'abnégation" et un choix de raison dictés par l'OPA de l'ex-protégé de François Hollande sur l'électorat centriste et la montée du Front national. Il s'entend notamment avec Emmanuel Macron sur la promesse d'une grande loi de moralisation de la vie publique et d'une dose de scrutin proportionnel pour les élections législatives.

 

"Tout cela n'est pas un jeu, c'est ma vie"
Pari gagnant. Ce soutien relance la dynamique du candidat d'En Marche !, lui permettant de franchir en tête le cap du premier tour de la présidentielle et d'être ainsi en position de battre au second la candidate du FN, Marine Le Pen. François Bayrou n'a pas manqué de le rappeler au chef de l'Etat nouvellement élu et à son mouvement au moment d'investir des candidats pour les législatives de juin. Avec quelques 80 candidats, le MoDem, en voie de disparition dans l'Assemblée nationale sortante, peut espérer reconstituer un groupe et assurer ainsi sa survie politique et financière.

Pour François Bayrou, qui s'était condamné à la solitude en rompant en 2007 avec l'UMP de Nicolas Sarkozy, et à la vindicte de la droite pour avoir voté François Hollande en 2012, c'est aussi la réalisation par procuration de son rêve d'une France échappant au clivage gauche-droite et gouvernée au centre.

"Tout cela n'est pas un jeu, c'est ma vie", confiait l'admirateur d'Henri IV le rassembleur au moment de renoncer à son rêve présidentiel. Il assure ne pas regretter "une minute" de ses combats, "même ceux qui ont fini par une défaite". Au moins peut-il se vanter d'être le dernier survivant d'une génération d'hommes politiques engloutis dans l'effondrement des partis qui se sont partagé le pouvoir ces dernières décennies.

 

"Il est perçu par les gens comme un grand témoin, pas comme un acteur", note Gaël Sliman, de l'institut Odoxa.

Sa persévérance, François Bayrou la tient d'une lutte acharnée pour sortir de sa condition de fils de modestes paysans de Bordères, un village de la région de Pau, à deux kilomètres à vol d'oiseau du château de Coarraze, berceau d'Henri de Navarre.

De son combat, aussi, contre un bégaiement dont il garde quelques traces dans une élocution appliquée.

Après une hypokhâgne et une khâgne à Bordeaux, celui qui "ne faisait pas ses devoirs" à l'école primaire obtient l'agrégation de lettres classiques à 23 ans.

 

"Ego surdimensionné"
La politique viendra plus tard, en 1978. Et c'est par l'écriture qu'il entre dans le sérail politique parisien : il sera la "plume" de Jean Lecanuet, puis de Raymond Barre.

A 30 ans, en 1982, il devient conseiller général puis député UDF des Pyrénées-Atlantiques. Sa carrière ministérielle débute en 1993 à l'Education nationale, dans le gouvernement de cohabitation d'Edouard Balladur. Il conserve ce portefeuille jusqu'à la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, malgré son soutien à Edouard Balladur contre Jacques Chirac à la présidentielle de 1995. Entretemps, il écrit plusieurs livres, dont deux sur Henri IV, qui lui permettent de se lancer dans l'élevage de pur-sangs.

Il conquiert la présidence de l'UDF en 1998, remporte un mandat de député européen en 1999, refuse au tournant des années 2000 de voir la nébuleuse centriste absorbée par l'UMP (ex-RPR et futur parti Les Républicains). Il sonne l'alarme dès 2002 sur la dégradation des finances publiques françaises. Mais l'UDF éclate et ce qu'il en reste se saborde pour devenir le MoDem en 2007.

 

Les détracteurs de François Bayrou estiment que ce "Narcisse" à "l'ego surdimensionné", abandonné par ses troupes, conserve malgré tout un pouvoir d'influence ou de nuisance. Jean-Louis Bourlanges, ex-compagnon de route, fustigeait notamment un "Capitaine Achab de la vie politique", qui court après Moby Dick et entraîne son équipage vers la mort. Le dirigeant centriste, dont la chanson préférée est "Ma plus belle histoire d'amour c'est vous", est peut-être cependant arrivé, cette fois-ci, à bon port.

 

Sophie Louet et Emmanuel Jarry

Faiseur de roi à défaut de pouvoir conquérir lui-même le pouvoir, le président du Mouvement démocrate (MoDem), François Bayrou, voit enfin récompensée sa quête du pouvoir par le poste de ministre de la Justice, avec rang de ministre d'Etat.
 
A près de 66 ans, cela fait de ce béarnais ombrageux et obstiné l'un des ministres les plus âgés du gouvernement du plus jeune président...