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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les États-Unis se réengageront-ils en Afghanistan ?

L'administration Trump devra se prononcer à la fin du mois sur l'envoi d'un nouveau contingent militaire en Afghanistan. Un revers interventionniste jamais encore franchi par le président.

Photo d’archives montrant des combattants talibans dans la province de Nangarhar, en Afghanistan. Photo Reuters

Les États-Unis iront-ils vers une nouvelle escalade interventionniste en Afghanistan ? Le commandant des troupes américaines dans le pays, le général John Nicholson, a plaidé début février pour l'envoi de 3 000 à 5 000 hommes supplémentaires afin de contenir l'avantage grandissant des talibans dans le pays. Alors que le chef du Pentagone a déjà apporté son soutien à cette demande, l'administration Trump devra donner son aval à la fin du mois, lors du prochain sommet de l'OTAN. Une décision lourde de conséquences pour un président qui avait largement fait campagne contre une politique étrangère interventionniste. Le débat sur l'intérêt de cette nouvelle opération a déjà émergé au sein même de l'administration.

Interventionnisme
Dans les coulisses du gouvernement américain actuel, deux camps s'opposent fermement sur le sujet. D'un côté, les anciens généraux qui entourent Donald Trump dans sa politique étrangère pressent les États-Unis de réaffirmer leur emprise sur le pays, contrôlé aujourd'hui à plus d'un tiers par les talibans. À leur tête, le général McMaster, président du Conseil de sécurité national (NSC), soutient largement ce renforcement. « Pour lui, il est indispensable de rétablir une balance militaire afin de reprendre des négociations avec les talibans », affirme Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaine.

La décision du nouveau président pourrait alors prendre les couleurs d'une politique étrangère néoconservatrice, pourtant désavouée tout au long de sa campagne présidentielle. C'est ce que dénonce l'autre force politique qui entoure Donald Trump, notamment représentée par Stephen Bannon. Pour ce conseiller, l'envoi d'un nouveau contingent en Afghanistan irait à l'encontre d'un recentrage nationaliste promis, symbolisé par la doctrine du « America First » (l'Amérique d'abord).

Barack Obama lui-même n'avait pas franchi ce cap. Alors que l'ancien locataire de la Maison-Blanche avait promis un retrait des troupes américaines avant la fin de son mandat, il avait dû maintenir, sans l'augmenter, le contingent militaire déployé sous mandat de l'OTAN dans le pays pour faire face à la résurgence des talibans. Après 16 ans de guerre dans le pays, des milliers de militaires pourraient venir s'ajouter aux 8 400 Américains déjà en place sur le territoire afin de consolider leur mission de soutien au gouvernement afghan, largement affaibli depuis plus d'un an.

« Ce serait un revirement stratégique considérable », admet Corentin Sellin. Pour ce spécialiste, le gouvernement américain n'a pas encore franchi la limite interventionniste, que l'on lui a récemment prêtée en Syrie ou en Afghanistan contre l'État islamique. « Les attaques opérées par les États-Unis dans ces pays conservent un caractère ciblé qui n'ont pas remis en cause la doctrine de l'America First », insiste-t-il. Le largage de la « mère de toutes les bombes » le 13 avril contre des souterrains utilisés par les jihadistes de l'EI dans l'est de l'Afghanistan apparaît ainsi, selon lui, comme une manière de réaffirmer la puissance du pays sans pour autant l'engager sur le long terme dans ces pays, à l'instar de missions lancées par ses prédécesseurs. Le renforcement demandé par le général Nicholson viendrait consolider l'une d'elles.

 

(Lire aussi : Après la mort du chef de l'EI en Afghanistan, la lutte continue)

 

État islamique
Deux lignes de front sont ainsi à distinguer en Afghanistan. D'un côté, celle tenue contre les talibans depuis le début du siècle, où pourrait se dessiner une politique étrangère dite interventionniste. De l'autre, celle récemment ouverte contre l'EI dans l'est du pays, qui, malgré une escalade militaire importante, ne biaise pas la ligne politique érigée par Donald Trump lors de sa campagne.

Installés dans la région de Nangarhar depuis 2015, les jihadistes de l'EI combattent depuis le début de l'année les troupes américaines déployées indépendamment de l'OTAN. Quoique la menace EI apparaisse limitée dans le pays, elle permet à Trump de tenir deux de ses promesses : la première, éradiquer le groupe EI partout où il se trouve ; la seconde, prendre le contre-pied de la politique étrangère d'Obama. « Donald Trump veut montrer ici qu'il n'attend pas que l'émergence jihadiste prenne de l'ampleur pour intervenir, au contraire de son prédécesseur », explique le politologue français Florent Parmentier. D'autres spécialistes, comme Karim Pakzad, voient pour leur part dans l'EI une « excuse toute trouvée » aux États-Unis pour revenir en Afghanistan, où la Russie fait notamment son grand retour. L'intérêt américain de se réengager dans le pays peut alors se lire à plusieurs échelles.

 

(Lire aussi : Afghanistan : les Marines US de retour dans le Helmand)

 

Guerre d'influence
Les raisons officielles invoquées par le général Nicholson début février faisaient pour leur part état d'une situation alarmante dans le pays, où 16 ans de guerre américaine pourraient bientôt se signer par un échec. « Nous ne pouvons pas laisser l'Afghanistan livré à lui-même, car la première guerre antiterroriste après le 11- Septembre a débuté dans ce pays », avait-il argué devant le Sénat début février. Comprendre ici que l'échec américain dans le pays serait synonyme d'une victoire du terrorisme. Il ajoutait alors qu'il « restait inquiet de l'influence de certains acteurs extérieurs (dans le pays), particulièrement le Pakistan, la Russie et l'Iran ».

Une guerre d'influence pourrait alors se redessiner en Afghanistan. Début février, Moscou avait organisé une rencontre avec ses alliés régionaux pour convenir des priorités dans la crise afghane. Vladimir Poutine y avait préconisé l'ouverture d'un dialogue avec les talibans dans le but de contenir la menace terroriste grandissante de l'EI en Asie centrale. Le général Nicholson avait immédiatement dénoncé ces négociations en affirmant que la Russie donnait « influence et légitimité » aux talibans, combattus par le gouvernement afghan avec l'OTAN pour soutien. Pour Karim Pakzad, le conflit régional qui se cache dans le pays calque déjà les contours d'« un retour du passé », où les grandes puissances cherchent encore à asseoir leur influence.

 

 

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