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Moyen Orient et Monde - commentaire

Les premiers pas de Tillerson en Asie

Le secrétaire d’État américain Rex Tillerson à son arrivée à Pékin, le 18 mars. Photo Reuters

Le récent déplacement du secrétaire d'État américain Rex Tillerson dans le nord-est de l'Asie représentait pour l'administration Trump l'opportunité majeure de fixer sa stratégie dans cette région critique. C'était notamment l'occasion idéale pour commencer à aborder le plus sérieux défi international auquel l'administration pourrait être confrontée au cours des quatre prochaines années : faire face à l'incessante volonté de la Corée du Nord d'obtenir des armes nucléaires dites livrables, sans pour autant déclencher une guerre conventionnelle dans la péninsule coréenne.

Difficile de rapporter précisément ce que Tillerson a accompli lors de cette courte visite. Peu bavard, le secrétaire d'État a non seulement refusé la présence de journalistes à bord de l'avion diplomatique (rompant avec un usage vieux de plusieurs décennies), mais n'a par ailleurs formulé sur le sujet que de brèves déclarations publiques, qui ne fournissent pas une image particulièrement détaillée et complète.

En Corée du Sud, à l'occasion du passage obligé dans la zone démilitarisée, Tillerson a fait savoir qu'il entendait mettre un terme à la politique de « patience stratégique » privilégiée par le président Barack Obama vis-à-vis du Nord. Au vu des « politiques défaillantes » appliquées ces dernières décennies, a-t-il déclaré, une « approche nouvelle » serait aujourd'hui nécessaire. Et Tillerson de conclure par l'une des formules qu'aiment employer les dirigeants américains lorsque aucun chemin ne semble se dessiner : « Toutes les options restent ouvertes », a confié le secrétaire d'État, sous-entendant qu'une intervention militaire n'était pas exclue.

 

(Lire aussi : Washington exige que l'Europe dépense plus pour sa défense)

 

Les déclarations de Tillerson sur la question coréenne n'ont pas tardé à exciter les rédactions éditoriales. Le fait que « toutes les options » soient envisageables ravit bien entendu ceux qui pensent que l'Amérique a plus que tout besoin d'une nouvelle guerre – et qui évidemment se situent au-delà de la portée des tirs nord-coréens. Enfin, affirment-ils constamment, un dirigeant politique américain voit clairement les choses, et exprime ce qui doit être dit. Mais est-ce vraiment le cas ?

L'approche apparemment musclée de Tillerson n'a pas été très visible lors de l'étape suivante de son déplacement : Pékin. Au contraire, le secrétaire d'État a fait preuve d'une grande patience avec les Chinois, indiquant sa volonté de travailler à leurs côtés sur le dossier nord-coréen, quitte même à oublier certains points de désaccord. Si l'on en croit ce qui a été dit, Tillerson serait même prêt à accepter qu'une telle coopération s'inscrive dans un cadre de grande puissance, si souvent réclamé par la Chine. Nul doute que les Chinois ont été ravis de l'entrevue.

Brève, mais ostensiblement amicale, la visite de Tillerson en Chine a été saluée par beaucoup comme la contribution du secrétaire d'État à une transition en douceur sur la voie de la relation bilatérale. En revanche, sur la question de la Corée du Nord, l'administration Trump est encore loin du but. En l'absence d'option acceptable, il est nécessaire que l'administration américaine commence à entreprendre simultanément plusieurs politiques, non pas en tant qu'éléments incomplets, mais dans le cadre d'une stratégie globale et unifiée. L'un des éléments cruciaux d'une telle stratégie réside dans une alliance militaire renforcée avec le Japon et la Corée du Sud, faisant intervenir la présence de systèmes antimissiles balistiques de pointe. Une approche plus franche vis-à-vis de la Chine est également nécessaire, consistant pour les États-Unis à convaincre les dirigeants chinois qu'une telle coopération militaire est indispensable à une solide relation entre l'Amérique et la Chine.

 

(Pour mémoire : Xi et Tillerson prêts à travailler à un rapprochement Chine-USA)

 

Dans les faits, la Chine applique depuis quelque temps des mesures visant à intimider la Corée du Sud, et fait primer cette approche sur sa décision de déployer un système antimissiles pour se protéger contre le Nord. Considérant en réalité ce système comme une menace pour sa propre sécurité, la Chine menace de prendre en otage la relation bilatérale, y compris d'engendrer une dégradation des relations commerciales.

Ce type de comportement est une vieille habitude des Chinois, et il appartient aux États-Unis d'œuvrer pour briser cette habitude, en faisant clairement savoir qu'une telle démarche d'intimidation ne pourra qu'affecter les relations entre la Chine et les États-Unis. Il incombe dans le même temps à l'Amérique de s'engager de manière franche auprès de la Chine dans le cadre d'une vision à plus long terme autour de ce que signifierait une possible réunification coréenne pour les deux pays, et pour leurs relations avec la République de Corée.

Tillerson a raison de considérer l'emploi de la force militaire comme une option à conserver. Mais les États-Unis doivent également maintenir la porte ouverte à des discussions avec la Corée du Nord, notamment pour éviter cette forme de virage antiaméricain qu'avait pris l'opinion publique sud-coréenne lorsque l'administration de George W. Bush, au cours de son premier mandat, avait échoué à faire preuve du moindre intérêt dans les négociations. Toute discussion devra néanmoins reposer sur ce qui a précédemment été débattu et convenu. La Corée du Nord a unilatéralement rejeté l'ensemble de ses obligations prévues par des accords conclus à cinq parties négociantes. Passer à la trappe cette réalité et tenter de repartir à zéro dans les cadre des négociations avec la Corée du Nord – approche recommandée par plusieurs acteurs du gouvernement chinois ainsi que par certains observateurs américains – reviendrait à affaiblir la crédibilité des contacts diplomatiques.

Une option est clairement à exclure des négociations : la conclusion d'un accord précipité avec la Corée du Nord, visant à obtenir l'arrêt des tests d'armements nucléaires et de missiles en échange, par exemple, de la suspension des exercices militaires conjoints que mènent chaque année l'Amérique et la Corée du Sud. Les partisans de cette approche considèrent qu'elle permettrait aux pays concernés de se ménager le temps nécessaire à l'élaboration d'une solution plus durable. Or une telle approche freinerait-elle véritablement la marche du Nord pour l'obtention d'armes nucléaires livrables ? Compte tenu du manque d'informations sur le programme nucléaire du pays, il est impossible de le savoir. Ce que nous savons, c'est qu'un moratoire sur la conduite d'exercices américano-sud-coréens conjoints mettrait immédiatement à mal cette alliance cruciale. Quel serait l'intérêt d'une alliance militaire sans contacts réguliers, sans intégration continue et sans préparation actualisée ?

Tillerson a raison d'écarter l'idée consistant à maintenir une patience stratégique vis-à-vis d'un pays déterminé à obtenir armements nucléaires et moyens de les déployer. Mais il ne s'agit là que d'une première étape. Le secrétaire d'État et ses collègues de l'administration Trump doivent remplacer cette politique par un programme complet et cohérent. Et il leur appartient d'exprimer cette démarche nouvelle au travers d'un peu plus qu'une poignée de déclarations.

 

Traduit de l'anglais par Martin Morel
© Project Syndicate, 2017.

 

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