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Liban - Boussole

Fiducie

La fiducie est un concept juridique essentiel à deux domaines particuliers : le commerce, y compris la banque et la finance, et les formes diverses de waqf en droit moyen-oriental, équivalent du trust en droit anglais. Le pendant de la fiducie dans la vie de tous les jours est la confiance. Les partenaires dans une société sont liés entre eux par une obligation de confiance supérieure à celle qu'ils ont à l'égard de tierces personnes.

La jurisprudence anglo-saxonne encadre ce degré supérieur de confiance nécessaire aux affaires par le concept de « fiduciary duty », (« obligation fiduciaire »), que mon ami le professeur Nabil el-Hage enseigne avec brio à la Banque centrale de Malaisie. Dans un domaine où la confiance est également très présente en droit, « l'homme de confiance » en charge d'un waqf, son nazer, a une obligation particulière à l'égard des bénéficiaires de ce waqf, dont on dit qu'il s'est traduit par le trust des collèges d'Oxford au 12e siècle, calqués sur les madrasas en waqf de l'Andalousie musulmane.

La jurisprudence sur l'obligation fiduciaire est très riche et fait partie du b.a.-ba de la « corporate governance », (« gouvernance des sociétés »), très en vogue de nos jours. La confiance est à la base de pratiques essentielles au monde des affaires, même si l'obligation fiduciaire demeure difficile à cerner par une formule abstraite. Trust, fiducie sont deux concepts très juridiques exprimant la confiance comme pivot des rapports entre les gens en droit privé.

Il y a une vingtaine d'années, le concept d'obligation fiduciaire a émergé en droit public, pour la première fois, je crois, en Israël. On sait que le système électoral israélien est très fragmenté, proportionnelle oblige, permettant à de petits leaders obscurs d'émerger sur la scène politique et de racheter un passé trouble par une carrière électorale où les voix de leur public effacent leurs turpitudes. Message subliminal : vous êtes malhonnête, lancez-vous dans la politique. Les voix des électeurs agiront en baptême purificateur. En réaction à ce phénomène, la Haute Cour israélienne avait conçu le principe de l'obligation fiduciaire appliquée à la vie publique : les candidats se heurtaient à un examen judiciaire sur leurs manquements à la confiance qu'ils doivent aux citoyens. Ce seuil de la vertu publique avait été finalement aboli en Israël, et la valse des politiciens véreux au passé criminel lourd s'est développée jusqu'à la scène actuelle où Aryeh Deri, l'un des personnages considérés à l'époque comme manquant à l'obligation fiduciaire, est aujourd'hui au pouvoir comme ministre.

À voir la scène française peuplée de postulants de la trempe inquiétante de M. Fillon et de Mme Le Pen, que les détournements de deniers publics avec des intensités variées opposent ouvertement à une justice qui essaye de les traiter comme tout le monde, la question qui se pose est clairement universelle. Est-il vrai, comme disait M. Fillon dans sa lancée populiste, dimanche, que « personne ne pouvait l'empêcher d'être candidat » ? Peut-on permettre à des gens qui ont manqué à l'obligation fiduciaire de continuer sur leur lancée sans être contraints à justifier de façon sérieuse des agissements douteux passibles de prison ? Les élections sont-elles un pis-aller qui lave par les voix des citoyens les péchés graves des postulants aux grandes responsabilités gouvernementales ? Les juges peuvent-ils, doivent-il s'interposer pour protéger la confiance du public dans sa classe politique ?

La fiducie est une belle thèse d'avenir pour ce qu'on appelle mièvrement « le bon gouvernement ». Beaucoup d'eau aura passé sous les ponts avant que la justice ne sache lui donner l'ossature nécessaire. Il ne faut pas baisser les bras. En France, un souffle nouveau revient sur la scène publique dans la mise en examen de M. Fillion et la levée partielle de l'immunité de Mme Le Pen. Espérons que la justice française saura transformer cette obligation fiduciaire de droit public en un point de repère juridique universel pour une planète en mal de démocratie. Si elle réussit, la prochaine étape sera américaine.

 

 

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commentaires (2)

Du bon usage de la morale en droit public. Merci Professeur Mallat.

COURBAN Antoine

08 h 15, le 07 mars 2017

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Commentaires (2)

  • Du bon usage de la morale en droit public. Merci Professeur Mallat.

    COURBAN Antoine

    08 h 15, le 07 mars 2017

  • « le trust des collèges d'Oxford au 12e siècle, calqués sur les madrasas en waqf de l'Andalousie musulmane. » Erreur : le trust aurait plutôt comme origine la pratique des guerriers anglo-saxons partis durant les croisades laissant derrière eux leur patrimoine familial dans tous les sens du terme à des proches afin de le leur restituer à leur retour, concept très loin des madrasas en waqf de l'Andalousie « Il y a une vingtaine d'années, le concept d'obligation fiduciaire a émergé en droit public, pour la première fois, je crois, en Israël » Faux : l’obligation fiduciaire puise ses sources dans le concept juridique anglais du trust « la scène française peuplée de postulants de la trempe inquiétante de M. Fillon et de Mme Le Pen » Affirmation présomptueuse : les deux candidats qualifiés de trempe inquiétante sont jusqu-à preuve du contraire présumés innocents « Peut-on permettre à des gens qui ont manqué à l'obligation fiduciaire de continuer sur leur lancée sans être contraints à justifier de façon sérieuse des agissements douteux passibles de prison ? » Accusation grave et infondée vis-à-vis de candidats représentants d’une grande fraction de l’opinion publique française, de manquements passibles de prison « Espérons que la justice française saura transformer... » Conseil : la justice française est assez mûre pour se passer de tels vœux Morale : Et si on se souciait de moraliser la vie politique libanaise qui en a bien besoin. 

    Emile Antonios

    05 h 05, le 07 mars 2017

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