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Moyen Orient et Monde - Éclairage

L’ONU lève un coin de voile sur la persécution des Rohingyas

L'envoyée spéciale des Nations unies en Birmanie admet que les violences subies par la communauté musulmane sont « bien plus répandues » que ce qu'elle pensait jusqu'ici.

Des réfugiées rohingyas au Bangladesh, le 27 février. Photo Reuters

« Tous les récits que j'ai entendus sont atroces, sans aucune exception », a déclaré Yanghee Lee, l'envoyée spéciale de l'ONU en Birmanie, dans un communiqué publié lundi. Après une visite de quatre jours au Bangladesh, où elle a pu s'entretenir avec des Rohingyas, ce sont des récits de viols et d'assassinats « atroces » perpétrés par l'armée birmane qu'elle rapporte auprès des Nations unies.

Quelque 1,1 million de Rohingyas vivent dans l'ouest de la Birmanie, principalement dans l'État de Rakhine. Cette communauté musulmane survit depuis des années dans des conditions oppressives : liberté de mouvement restreinte, droits politiques limités, déni de leurs droits d'accès à la santé et à l'éducation, refus de leur attribuer la citoyenneté. Depuis les années 1990, les enfants rohingyas ne reçoivent pas de certificat de naissance, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux violations de leurs droits fondamentaux.

Des mauvais traitements qui se sont encore accentués depuis quelques mois. Le 9 octobre, neuf membres des forces de sécurité à la frontière du Bangladesh sont morts à la suite d'une attaque de postes de police par des militants rohingyas. L'armée a dès lors lancé de violentes opérations de représailles contre l'ensemble de cette minorité, souvent sans chercher à distinguer les insurgés du reste de la population. Une « campagne de violence systématique disproportionnée » par rapport à l'attaque à laquelle elle répond, selon Amnesty International.

Si deux enquêtes ont été lancées la semaine dernière sur la dissimulation de la mort de deux Rohingyas lors de leur détention par la police dans l'État de Rakhine, elles restent toutefois dérisoires par rapport à la réalité du drame de cette communauté. « Ces enquêtes sont une blague », fustige Phil Robertson, directeur de la division Asie de Human Rights Watch. Elles ne sont que la partie émergée de l'iceberg, alors que depuis octobre, la police et l'armée agissent dans une « impunité absolue », déplore-t-il.

« Le monde n'a pas conscience de l'ampleur de la crise »
Le bilan s'alourdit de jour en jour depuis le lancement de la répression. Dans un rapport publié le 3 février, le Haut-commissariat aux droits de l'homme (HCDH), rattaché à l'ONU, parle d'« assassinats, de disparitions forcées, de torture et de traitements inhumains, de viols et d'autres formes de violences sexuelles et de détentions arbitraires ». Le HCDH estime que 73 000 Rohingyas auraient été poussés à fuir au Bangladesh, 22 000 se seraient déplacés à l'intérieur du pays, et plus d'une centaine auraient été tués lors d'opérations de police. Mais le nombre de morts pourrait s'élever à plus d'un millier, selon les propos de deux responsables onusiens rapportés par Reuters après la publication du rapport. « Le monde n'a pas conscience de l'ampleur de la crise », se désolent-ils. Mme Lee a elle-même admis que les violences subies par les Rohingyas étaient « bien plus répandues » que ce qu'elle pensait jusqu'alors.

L'armée, qui a coupé l'accès aux média et ONG, empêche d'établir des chiffres précis sur les exactions menées dans l'État de Rakhine. La communauté internationale a plusieurs fois appelé à lancer une enquête indépendante sur les abus de l'armée contre les Rohingyas, mais les commissions mises en place par le gouvernement n'ont « ni les moyens ni la volonté de mener une investigation crédible », affirme M. Robertson.

Et l'arrivée d'Aung San Suu Kyi à la tête du gouvernement civil birman n'a pas changé la situation. Son silence et son inaction face à cette crise sont de plus en plus critiqués à l'international. En réalité, le système birman laisse la lauréate du prix Nobel impuissante face à la mainmise des militaires sur la région, car selon la Constitution en vigueur, l'armée est indépendante du gouvernement civil. En prenant le contrôle des zones habitées par les Rohingyas, les forces armées rendent ainsi impossible toute intervention gouvernementale.

« Le nouveau gouvernement a hérité d'une situation où des lois et des politiques sont en place et conçues pour nier les droits fondamentaux des minorités », avait déclaré Zeid Raad al-Hussein, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, dans un communiqué en juin. Changer la donne s'avère d'autant plus compliqué qu'Aung San Suu Kyi craint qu'en dénonçant les exactions des forces de sécurité contre les Rohingyas, l'armée ne mette en péril la transition démocratique de la Birmanie. Pour Rafendi Djamin, directeur pour l'Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International, en privilégiant la politique sur les droits et la vie des individus, « Aung San Suu Kyi n'a pas assumé la responsabilité qui lui incombe, tant sur le plan politique que moral ».

 

 

Pour mémoire

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