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Liban - Patrimoine

Une mosquée d’avant-garde en pays druze

La mosquée de l’émir Chakib Arslane, reconstruite par l’architecte Makram el-Kadi. Photos Joseph Eid

De loin, il est difficile d'imaginer que le bâtiment à l'entrée de Moukhtara, la capitale du pays druze dans la montagne libanaise du Chouf, est une mosquée.
Bien qu'ils appartiennent à une confession dérivée de l'islam chiite, les druzes ne prient pas dans les mosquées, et l'édifice est loin de ressembler à la maison de prière traditionnelle musulmane. La mosquée de l'émir Chakib Arslane, du nom du grand-père de Walid Joumblatt, le chef du PSP, vise à susciter une réflexion sur la religion et la modernité. Cette œuvre architecturale a été commandée et financée par M. Joumblatt, pour remplacer une mosquée qui avait été détruite à Moukhtara il y a quelques décennies, lors d'une dispute à caractère politique. Le chef druze a donné carte blanche à l'architecte Makram el-Kadi pour réinterpréter le lieu de prière musulman avec des résultats surprenants.
Le minaret et la coupole traditionnels ont été remplacés par un agencement de poutrelles en acier blanc posé sur une maison arabe traditionnelle en pierre qui a la forme d'un « voile », selon le concepteur. Dans un coin du toit, des barres en métal se dressent vers le ciel comme une tour rappelant le minaret. La lumière et l'air passent à travers cette structure fine, qui contraste avec le caractère massif du bâtiment traditionnel en pierres ocres. À deux endroits, les espaces entre les poutrelles ont été comblés pour créer deux mots qui ne se perçoivent qu'à distance : Allah (Dieu) sur le minaret, et al-Insan (l'être humain) sur la structure en contrebas.
Pour Makram el-Kadi, ce projet est le résultat d'années de réflexion sur la manière de réimaginer la structure de la mosquée. « Rien dans le Coran ou dans les hadiths ne dit comment doit être conçue une mosquée », explique-t-il. Mais malgré le peu de contraintes religieuses, la forme des mosquées n'a pas évolué. « Il n'y a pas beaucoup d'expérimentation architecturale », constate-t-il.

« Esprit critique »
La lumière pénètre dans ce lieu de culte aux murs blancs par une large fenêtre découpée dans le plafond voûté.
À l'arrière de la salle, dans une pièce où sont rangés les livres religieux, le mot Iqra (lire) se dessine sur des lattis en bois, une allusion au premier mot du Coran et un rappel qu'un des impératifs religieux est de lire et pas seulement de réciter. « Il ne faut pas réciter aveuglément, (...) il faut lire avec un esprit critique », affirme l'architecte.
Sur le sol, s'étale un surprenant tapis avec des motifs abstraits noirs et blancs, qui représente l'onde musicale de la récitation du Coran, où le mot Dieu a été enlevé pour éviter que l'on marche dessus. « Le tapis est une nouvelle forme de calligraphie (...). Dans cette mosquée, il reflète aussi quelque chose de très important, à savoir que Dieu y est caché et pourtant très présent », explique pour sa part l'artiste Lawrence Abou Hamdane, qui a conçu cette œuvre. Et au milieu de toutes ces innovations, certaines règles demeurent, notamment l'orientation de la mosquée vers La Mecque et le traditionnel appel à la prière du muezzin.
Pour Walid Joumblatt, le projet a deux objectifs : souligner les liens entre la foi druze et les autres branches de l'islam, et aussi promouvoir la tolérance religieuse.

« Guerre culturelle »
Le Liban porte encore les stigmates de la guerre civile entre 1975 et 1990, au cours de laquelle toutes les confessions ont commis des crimes. Le pays est aussi secoué par le conflit qui ravage la Syrie voisine.
« Je pense que le message que nous devons sans cesse répéter, c'est qu'il y a une place pour la diversité et la coexistence. Le Liban ne peut survivre que dans la diversité », insiste le leader druze. Le message est particulièrement important, car les druzes ont été bourreaux et parfois victimes durant la guerre de la Montagne avec les chrétiens en 1983 au Liban, et parce qu'ils ont été, en Syrie, parmi les minorités religieuses contraintes à la conversion ou à l'expulsion par les jihadistes qui les considèrent comme des apostats.
Pour les résidents druzes, la mosquée est une curiosité, un geste envers l'extérieur plutôt qu'un lieu de culte pour eux-mêmes. « Je n'ai jamais été à l'intérieur, mais de l'extérieur, l'architecture est plaisante », confie Sabah Abdel Ahmad, 50 ans, qui possède une pharmacie de l'autre côté de la mosquée. « C'est vraiment très beau de promouvoir le pluralisme et l'acceptation de l'autre », dit-elle.
Pour Makram el-Kadi, la mosquée représente une « passerelle » entre les différentes branches de l'islam à un moment « où ce type de geste se fait rare ». « La lutte contre le fondamentalisme est avant tout une guerre culturelle, une bataille d'idées, et l'architecture est une des armes », dit-il.

Sara HUSSEIN/AFP

De loin, il est difficile d'imaginer que le bâtiment à l'entrée de Moukhtara, la capitale du pays druze dans la montagne libanaise du Chouf, est une mosquée.Bien qu'ils appartiennent à une confession dérivée de l'islam chiite, les druzes ne prient pas dans les mosquées, et l'édifice est loin de ressembler à la maison de prière traditionnelle musulmane. La mosquée de l'émir Chakib...

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