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Culture - Exposition

Stéphanie Saadé : Après Marcel Duchamp, l’art ne peut plus être que conceptuel

Cette artiste trentenaire recouvre ses « œuvres » d'or et d'argent, insère un diamant pur dans le sol de l'espace d'exposition et s'amuse à dérouter le visiteur par ces signes, ces indices, ces éléments anodins dont elle parsème la galerie Marfa'* sous couvert d'art.

Cet espace qui peut sembler vide est en fait occupé par 4 œuvres de Stéphanie Saadé...

Stéphanie Saadé est née le 11 janvier 1983. L'information est essentielle. Car même sa date d'anniversaire, l'artiste l'a intégrée dans son exposition. Elle en a fait une œuvre. Deux même. La première est une sorte de capture d'écran juxtaposant trois menus de recherche arrêtés à sa date de naissance, à dix ans d'intervalle. Au fil des années, la date qui apparaissait en haut de la liste descend vers le centre, puis frôle le bas de page... déroulant ainsi l'inexorable mouvement du temps et sa « chute » vers le vieillissement. Intitulée Down to Earth, cette impression sur papier (40 x 50 cm) est encadrée et accrochée sur les cimaises « pour montrer que même l'inscription chiffrée de cette date peut paraître jeune ou vieille », assène la jeune femme.

La seconde œuvre que l'artiste a également conçue à partir de sa date de naissance est par contre immatérielle. Il s'agit plutôt d'une performance inspirée de l'expression « les gens de ton âge », signale-t-elle. « J'ai placé une annonce dans un journal local invitant 33 personnes nées le 11 janvier 1983 à me rejoindre à la galerie le soir du vernissage, ce 11 janvier, dans le but de célébrer tout à la fois nos retrouvailles – nous qui sommes venus au monde le même jour – et notre première rencontre, en fêtant nos 34 ans, indique-t-elle. Mais, honnêtement, je ne sais pas si la performance a vraiment eu lieu. »

 

Pour initiés...
Diplômée des Beaux-Arts de Paris, après de brèves études de philosophie, cette trentenaire occupe de manière singulière l'espace de la galerie Marfa' qui accueille, jusqu'au 31 mars, sa toute première exposition individuelle libanaise. Laquelle rassemble des éléments aussi disparates qu'une série de feuilles d'or présentées dans des cadres ; un socle cubique aux facettes en miroirs ceint d'une ceinture ; un portable accroché au mur ; une échelle en fer, acier et laiton ; quelques graphiques encadrés ainsi que deux graines de lentilles, l'une recouverte d'or, l'autre laissée au naturel, placées chacune dans une assiette pour y germer. Sans oublier l'« œuvre » centrale qui donne son nom à l'exposition : The Second Space, une massive poutre de charpente incrustée de quelques très fines lignes de laiton représentant les trois trajets que Stéphanie Saadé a suivis, enfant, pour se rendre à l'école. « Cette poutre, mon père l'avait récupérée d'une maison détruite par la guerre de 1975. Il l'avait transposée dans un second espace, en l'occurrence la maison où j'ai grandi. C'est pourquoi elle représente pour moi à la fois un pan de l'histoire du Liban, conjugué à celle de mon enfance », indique l'artiste, consciente de devoir fournir des explications pour rendre son travail accessible au public. D'autant que la plupart des « pièces » qu'elle a conçues sont difficiles à appréhender en tant qu'œuvres artistiques par quiconque ne fait pas partie du cercle très restreint des initiés à l'art (ultra)conceptuel.

 

(Lire aussi : Sept personnages en quête d'auteur)



Œuvres immatérielles, câble et échelle...
Discrètes, épurées, nées d'interventions minimalistes, voire furtives, elles passent inaperçues, certaines pouvant même être confondues avec des dispositifs d'aménagement de la salle. À l'instar de ce Highlight, un câble sortant du sol et alimentant un seul des néons du plafond. « Comme je travaille beaucoup sur la reconfiguration du paysage et de l'espace, j'ai voulu que la lumière, habituellement claire et éclatante, provienne cette fois des tréfonds obscurs du sous-sol », dit-elle.
Ou encore ce qu'elle présente en tant que « première œuvre immatérielle » et qui consiste à bloquer l'accès habituel de la galerie pour faire entrer le visiteur par la porte de sortie. « Afin qu'il commence par la fin, qu'il fasse le tour de l'exposition, entièrement conçue sur le concept de l'aller-retour, et qu'il revienne sur ses pas pour ressortir de la galerie », précise l'artiste.

Stéphanie Saadé explore donc à partir d'objets et d'éléments anodins, reconfigurés en travail artistique éminemment conceptuel, « mais injecté d'une dimension personnelle », les thèmes de la mémoire, du souvenir, des trajectoires physiques, mentales et émotionnelles, d'une perception non figée du temps et de l'espace...

 

(Lire aussi : Maria Chakhtoura : Exposer les graffitis, comme une alarme contre la violence...)

 

 

Souvenirs pérennes comme l'or pur
Ainsi, dans Golden Memories, une série de photographies d'enfance qu'elle a recouvertes de feuille d'or 24 carats, « le plus pur et qui a la qualité d'être pérenne et inaltérable », Stéphanie Saadé traduit l'ambivalence de la mémoire. « D'une part, je perds mes souvenirs parce que je ne me rappelle plus des scènes qui étaient inscrites sur ces photos et, de l'autre, c'est comme si elles acquéraient les qualités de cet or dont elles sont recouvertes. ».
En incrustant un vrai diamant dans le sol, elle cherche à « porter l'attention vers cette partie la plus sale, la plus négligée de l'architecture et de l'espace, et d'y créer une tension, forte, même si elle peut être imperceptible ».

Par une échelle composée de trois métaux différents hiérarchisés, allant du moins au plus précieux (respectivement fer, acier inoxydable et laiton), elle souligne l'idée d'ascension, dans son sens métaphysique ou spirituel. Et par une application reliant son portable a un autre fixé sur l'un des murs de la galerie et qui indique la distance entre l'endroit où elle se trouve et l'exposition, elle crée un lien permanent entre sa personne et son travail...
On l'aura deviné, la pratique énigmatique et métaphorique de Stéphanie Saadé sort totalement du registre et des médiums habituels. Chez elle, l'art est déplacé du produit au processus, dans une quête de reformulation personnelle de la symbolique du monde. Pour autant et malgré l'évidente sensibilité de l'artiste, on peut s'interroger sur l'intérêt d'une telle exposition. Qu'offre-t-elle vraiment à voir, à sentir, à apprécier ?
« Une vision des choses, une expérience partagée », affirme Joumana Asseily, propriétaire de la galerie Marfa'. « Moi, ce qui m'intéresse dans cet art que j'expose, c'est de montrer comment la forme conceptuelle devient poétique, à travers le discours, la sensibilité et l'intelligence de l'artiste », ajoute-t-elle. Signalant, par ailleurs, la mise à disposition des visiteurs d'un petit livret donnant des clés de lecture de l'exposition. Tandis que pour Stéphanie Saadé, c'est simple, « après Marcel Duchamp, l'art ne peut plus être que conceptuel. L'art rétinien, qui est uniquement sensuel, qui parle aux sens, à la vue et à l'œil, n'est plus vraiment possible, même si des gens le font... »

 

* Secteur du port de Beyrouth, 1 339 Marfa'. Jusqu'au 31 mars. Horaires d'ouverture : du mardi au vendredi, de 12h à 19h, et les samedis de 14h à 19h. Tél. : 01/571636.

Bientôt la Biennale de Sharjah

Diplômée des Beaux-Arts de Paris, Stéphanie Saadé décroche une bourse pour un séjour de deux ans en Chine. Après une première présentation de son univers aux Pays-Bas, à Zurich et Londres, elle participe à « Exposure » en 2011 ainsi qu'à la dernière édition de « Homeworks ». Ses œuvres ont également fait l'objet d'une exposition à la galerie Anne Barrault à Paris, l'année dernière, et elle s'apprête à participer à la Biennale 13 de Sharjah, « Tamawuj », où elle est emmenée par la curatrice Christine Tohmé.

 

 

 

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commentaires (5)

Le cercle restreint des initiés, AUSSI, a besoin de discours pour COMPRENDRE (sic) l'art conceptuel, ou disons " l'ART COMPTANT POUR RIEN" (L'art contemporain)!! Dites: est-ce qu'on a besoin de discours pour aimer la musique? Est-on capable d'apprécier et être touché par une oeuvre d'art, sans l'intermédiaire d'un discours savant qui est toujours plus incompréhensible que la pièce "artistique", qu'on se fatigue à rendre accessible?Etre absolument original est une chose, mais être un artiste , un vrai, -qui se respecte- est une autre chose.A bon entendeur, SALUT!!!!!!!!!!

Skamangas Stelios

13 h 26, le 27 janvier 2017

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Commentaires (5)

  • Le cercle restreint des initiés, AUSSI, a besoin de discours pour COMPRENDRE (sic) l'art conceptuel, ou disons " l'ART COMPTANT POUR RIEN" (L'art contemporain)!! Dites: est-ce qu'on a besoin de discours pour aimer la musique? Est-on capable d'apprécier et être touché par une oeuvre d'art, sans l'intermédiaire d'un discours savant qui est toujours plus incompréhensible que la pièce "artistique", qu'on se fatigue à rendre accessible?Etre absolument original est une chose, mais être un artiste , un vrai, -qui se respecte- est une autre chose.A bon entendeur, SALUT!!!!!!!!!!

    Skamangas Stelios

    13 h 26, le 27 janvier 2017

  • Les moutons de Panurge, n'ont pas encore compris, presque un siècle plus tard, le geste dérisoire, du joueur d'échecs, le bien nommé Marcel Duchamp: Sa célèbre Pissotière a encore des adeptes de notoire ignorance.

    Skamangas Stelios

    12 h 47, le 27 janvier 2017

  • Marcel Duchamp a fait son urinoir en 1917, il y'a pratiquement 100 ans. Notre "artiste" efface d'un trait tout les artistes "classique" qui sont passe par la depuis; c'est a dire tout les Picasso, Modigliani, Rothko, Pollock, Soulage, Mondrian, Bacon, Freud, Miro, Klee, Warhol, Lichtenstein, Basquiat, etc... Voila une exposition a laquelle je n'irais pas. Merci a l'OLJ de m'aider a faire le tri.

    George Khoury

    11 h 48, le 27 janvier 2017

  • Amusant,ingénieux! Mais quel rapport avec l'art?

    Yves Prevost

    09 h 02, le 27 janvier 2017

  • DE L,ART... PEUH...

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 23, le 27 janvier 2017

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