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Moyen Orient et Monde - Irak / Reportage

« Nous avons enterré mon père, ma mère et mon frère sous les orangers »

À Mossoul, théâtre d'une bataille décisive entre les forces irakiennes et les jihadistes du groupe État islamique, la mort vient aussi du ciel. Abdel Rahmane et Adnane Riyad ont perdu leurs parents et leur petit frère dans une frappe aérienne qui a rasé trois maisons dans le quartier de Mohandessine.

Deux soldats irakiens posent pour une photo devant ce qui reste de la maison des Riyadhs.


« Il s'appelait Omrane », confient les deux frères d'une même voix, le regard dirigé vers les monticules de terre alignés au fond du jardin. « Ça, c'est la tombe de mon père. Là, c'est ma mère, et à côté, c'est mon frère », explique Abdel Rahmane Riyad qui, à 18 ans, est désormais le cadet de sa famille. « Il voulait être avocat, comme notre grand-père », ajoute-t-il en s'étranglant. Adnane, de deux ans son aîné, acquiesce : « Il était charmant, il était gentil, il était drôle et intelligent. Il était l'âme de la maison. La veille, nous avions joué aux cartes et bu du café. Il était fâché de moi parce que je lui avais mis une raclée », se souvient Adnane avec un sourire.

« Avant d'aller me coucher, j'ai apporté une couverture à mon père et je lui ai dit que je l'aimais. Puis je suis descendu et j'ai embrassé les mains de ma mère », raconte Abdel Rahmane. C'est la dernière fois qu'il la verra. Aux premières heures du vendredi 6 janvier, leurs parents et leur petit frère Omrane, 16 ans, périssaient avec quinze voisins dans ce que plusieurs résidents décrivent comme une frappe aérienne qui a rayé de la carte trois maisons dans le quartier de Mohandessine, à l'est de Mossoul.

« Autour de moi, tout s'est effondré, souffle Abdel Rahmane. J'ai repoussé les débris puis je me suis levé et j'ai demandé à mon frère s'il était toujours vivant. Il était blessé au niveau de la jambe. Je lui ai dit de venir dans mon lit et j'ai commencé à chercher Omrane, ma mère et mon père. J'ai crié, mais personne ne m'a répondu. »

Abdel Rahmane et son frère Adnane prennent alors la décision de fuir, terrifiés à l'idée que l'avion qui les a visés repasse par-dessus la maison pour terminer le travail. Lorsqu'ils reviennent deux heures plus tard, des habitants du quartier sont là pour les aider à retrouver les corps. Le père est le premier à être découvert dans les ruines. Puis Omrane et leur mère, qui dormaient dans la cuisine. « J'ai prié pour qu'ils soient toujours vivants. Ou au moins l'un d'eux. Mais les dieux nous ont abandonnés », lâche Adnane, le regard sombre. Les corps de deux voisins se trouvent toujours sous les décombres. « Nous avons creusé et creusé, mais nous n'avons pas réussi à les trouver », regrette Abdel Rahmane.

(Lire aussi : Le territoire de l'EI a fondu de près d'un quart en 2016)


« Je ne peux plus parler... »
À cause des combats acharnés qui, dans Mossoul-Est, ont opposé pendant près de trois mois les forces progouvernementales aux jihadistes du groupe État islamique (EI), les deux frères ont dû se résoudre à enterrer leur famille à quelques blocs de là, au fond du jardin de leur grand-père, dans un quartier chic où les villas grandiloquentes se côtoient sur de larges avenues bordées de palmiers. « Nous les avons enterrés sous les orangers », précise Abdel Rahmane.

Et les membres de la famille Riyad ne sont pas les seuls à reposer dans ce cimetière improvisé. À quelques mètres de Omrane se trouvent également trois enfants et leur grand-mère, tués dans la même frappe. Ce n'est que temporaire, assurent Abdel Rahmane et Adnane. Les corps seront enterrés dans un vrai cimetière dès que la situation le permettra.

Les sépultures, creusées à l'ombre des arbres fruitiers, sont surmontées d'une pierre blanche sans inscription. L'endroit est paisible, si ce n'est les coups de feu qui brisent le silence de temps à autre. « Pouvez-vous imaginer, en l'espace d'une journée, j'ai dû dire adieu à trois membres de ma famille? Ce jour-là j'ai enterré une partie de mon âme », souffle Adnane, interrompu par le bourdonnement de l'un des nombreux avions de chasse qui ont investi le ciel gris. « Quand j'entends ce bruit, je ne peux m'empêcher de trembler, dit-il en regardant les nuages. Au moindre fracas, j'ai l'impression que tout va exploser. C'est terrifiant. »

Les deux orphelins peuvent désormais compter sur leur oncle, mais se disent abandonnés par le gouvernement. « Ils ne sont même pas venus nous voir, ils n'ont même pas... » La voix de Adnane s'étrangle, son regard est embué. « Je ne peux plus parler, je suis désolé », s'excuse-t-il en baissant les yeux. Il ignore si la frappe aérienne a été conduite par les forces irakiennes ou la coalition internationale menée par les États-Unis et doute obtenir une réponse un jour.

Le Centcom épinglé
Le 9 novembre dernier, le US Central Command (Centcom), qui dépend du département de la Défense des États-Unis, a reconnu que 24 raids américains contre l'EI en Irak et en Syrie auraient provoqué la mort de 64 civils et blessé huit autres sur l'année écoulée. « Parfois, les civils endurent lourdement l'action militaire. Mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour minimiser ces événements, même si cela signifie parfois rater l'opportunité de frapper des cibles valides », avait assuré un porte-parole dans un communiqué. Ces estimations seraient cependant nettement en deçà de la réalité, selon Amnesty International, qui, deux semaines plus tôt, publiait son propre recensement des victimes collatérales provoquées par la guerre contre l'EI.

Les onze raids aériens de la coalition sur lesquels l'organisation non gouvernementale s'est penchée dans son enquête auraient provoqué la mort de quelque 300 civils en Syrie, alors que le Centcom n'a pour l'instant reconnu sa responsabilité que pour un seul de ces décès. Ces informations « laissent penser que le commandement militaire américain (Centcom), qui dirige les forces de la coalition en Syrie, n'a peut-être pas pris les précautions nécessaires pour épargner les civils et a peut-être mené des attaques illégales qui ont tué et blessé des civils », a estimé Amnesty dans son rapport.

Aujourd'hui, les frères Riyad réclament une enquête. « Nous voulons juste savoir pourquoi. Pourquoi ! Nous ne pouvons pas les ramener, mais nous voulons des réponses », s'exclame Abdel Rahmane, agenouillé à l'ombre des orangers.


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