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Liban - Libertés publiques

Droit d’accès à l’information : l’administration va-t-elle suivre ?

Le texte législatif a été élaboré dans une optique de transparence et de lutte contre la corruption.

Les pouvoirs publics seront-ils en mesure de mettre en œuvre l’adoption par le Parlement, jeudi, de la loi sur le droit d’accès à l’information ? Photo archives ANI

Le droit d'accès à l'information est enfin reconnu. Lors de la séance législative de jeudi, les députés ont adopté une loi reconnaissant cette liberté, huit ans après qu'un projet en ce sens leur eut été soumis. Mais aujourd'hui, il reste à voir si les pouvoirs publics seront en mesure de mettre en œuvre cette avancée.

Cette nouvelle loi, qui donne à toute personne, physique ou morale, le droit d'obtenir des informations et documents détenus par l'administration publique, permet en théorie de franchir un grand pas dans le sillage de la démocratie, en harmonie avec les principes de transparence et de lutte contre la corruption.

Désormais, les institutions étatiques, établissements publics, organismes juridictionnels (tribunaux civils, administratifs et religieux), municipalités, sociétés mixtes, associations d'utilité publique, doivent diffuser d'office leurs décisions, circulaires, notes et règlements, dans un délai de quinze jours après leur émission. Ils sont également tenus de publier leurs bilans annuels à la fin de chaque mois de mars, ces bilans devant inclure des informations sur les mécanismes d'actions, les objectifs, les charges, les fondements et les réalisations de ces institutions, ainsi que les difficultés qu'elles affrontent.
Le texte législatif édicte également que, sauf dans les cas d'urgence et de circonstances exceptionnelles, les administrations doivent insérer par écrit les motifs juridiques sur lesquels elles se sont basées pour émettre leurs décisions, et ce pour garantir la transparence et éviter les abus.

Par ailleurs, l'administration est tenue de faciliter l'accès aux documents en conservant ceux-ci de manière organisée. Dans le même objectif de satisfaire les requêtes, la loi stipule que le chef hiérarchique de chaque administration est tenu de désigner un fonctionnaire chargé de répondre, dans un délai de 15 jours, aux demandes écrites des citoyens désireux d'obtenir des informations. L'absence de réponse sera considérée comme un refus tacite de la demande, et le demandeur pourra alors, comme en cas de refus explicite, porter dans un délai de deux mois un recours direct auprès du Conseil d'État ou auprès de la commission administrative indépendante prévue par la loi sur la commission nationale pour la lutte contre la corruption. Le demandeur dispose également d'un délai de soixante jours pour contester, auprès du Conseil d'État, les décisions émises par cette commission en sa défaveur.

Grâce à cette loi qui vient renforcer le respect de la liberté d'expression et d'opinion consacrée par le préambule de la Constitution et par la Déclaration universelle des droits de l'homme dont le Liban est corédacteur et signataire, le citoyen peut désormais mieux exprimer son opinion, étant davantage armé pour réclamer des comptes à ses représentants puisqu'il a accès à des informations officielles crédibles et complètes.

 

Réactions
C'est le député Ghassan Moukheiber qui avait déposé, en 2009, le projet de loi visant à instaurer le droit d'accès à l'information. À L'Orient-Le Jour, il souligne que ce texte avait été élaboré en 2008, au sein de la coalition libanaise pour le droit à l'accès à l'information, qu'il préside lui-même. « Ce groupe comprenait des parlementaires de tous bords politiques, ainsi que des représentants de la Lebanese transparency association (LTA), de 17 autres ONG, ainsi que de syndicats publics et privés », précise-t-il, se félicitant du « caractère unique de ce mode collaboratif d'élaboration législative ».

Lors de son mandat parlementaire (2005-2009), l'ancien député Jawad Boulos avait travaillé d'arrache-pied, en coopération avec M. Moukheiber, dans le cadre du groupe de députés contre la corruption pour l'étude et l'adoption du projet de loi. Interrogé par L'Orient-Le Jour sur l'adoption du texte législatif, M. Boulos s'en félicite. « Il aura quand même fallu près de dix ans pour y arriver », déplore-t-il toutefois, formulant le souhait que « l'administration respecte et facilite l'application de la loi plutôt que de l'entraver ». L'ancien député indique que « dès sa parution au Journal officiel, les dispositions législatives pourront être invoquées par tout citoyen et toute institution », exprimant cependant ses doutes non seulement quant à la volonté des institutions publiques de fournir les documents sollicités, mais aussi quant à leur aptitude à le faire. Il évoque notamment les anciens registres des institutions publiques et estime que « leur archivage est obsolète, et, partant, leur repérage et leur divulgation s'avèrent difficiles ».

Pour l'ancien parlementaire, le droit d'accès à l'information publique est la pierre angulaire de tout régime démocratique. « Le citoyen doit jouir de la possibilité d'obtenir des informations qui concernent sa vie en société et au niveau national, afin de contrôler les institutions et d'en contester les décisions et actes », souligne-t-il, affirmant qu'« il est essentiel pour chaque Libanais d'élucider les conditions dans lesquelles les décisions publiques sont prises ».
M. Boulos donne l'exemple « parmi tant d'autres » de décisions internes du ministère des Finances qui ne sont pas sujettes à publication dans le Journal officiel et ne sont donc pas mises à la disposition des Libanais, bien qu'elles régissent un aspect important de leur vie de citoyens. Il espère que « l'application de la loi pourra pallier cette défaillance ».

Des personnes de la société civile, contactées par L'Orient-Le Jour, s'indignent quant à elles de ce que les ministères ne se contentent pas à l'heure actuelle d'occulter les renseignements auxquels ont droit les Libanais. Pour étayer leur propos, ces militants rappellent qu'un rapport récemment soumis au président de la République concernant la direction de l'Aviation civile mentionne l'interdiction expresse par le ministère de tutelle (Travaux publics et Transports) de communiquer certaines informations au public.
Le droit de savoir, qui a maintenant une qualité juridique, devrait par ailleurs faciliter le travail des chercheurs, notamment les historiens, les sociologues et les journalistes.

Dans un communiqué, l'ONG Maharat pour la défense de la liberté d'expression et de la liberté de presse a salué l'adoption de la loi, estimant qu'« elle accroît l'indépendance des supports d'information, poussant les journalistes à évoquer les questions publiques et révéler des vérités en vue de l'intérêt public ». Maharat ajoute dans ce cadre que « le nouveau texte législatif contribue à permettre aux journalistes d'accéder, sans intermédiaires, aux sources d'information, ce qui renforce la crédibilité et la précision des informations ». L'ONG souligne enfin que « le rôle de contrôle rempli par les médias est ainsi appelé à s'amplifier, ce qui contribuera, de manière indirecte, à dynamiser l'action de l'administration ».

 

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