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Économie - Splendeurs et misères économiques

Aux sources de l’ordrolibéralisme allemand

Né à Beyrouth, Michel Santi est un macroéconomiste franco-suisse qui conseille des banques centrales et des fonds souverains. Il est l’auteur de « Misère et opulence » et de « Pour un capitalisme entre adultes consentants ».

La stabilité monétaire est cruciale pour le peuple allemand qui a dû subir deux épisodes d'hyperinflation durant la première moitié du XXe siècle et qui a exigé de la part de la Banque centrale européenne – qui a succédé à la Bundesbank – la même détermination sur ce front. À cet égard, le traité de Maastricht fut d'une part à même de garantir que la nouvelle monnaie unique bénéficierait des mêmes exigences qualitatives que le deutschemark, tout en permettant d'autre part de filtrer les nouveaux adhérents en fonction de leurs dettes et déficits. Pour les Allemands, l'euro devait être une monnaie caractérisée par une inflation et par des déficits inexistants, émis par une BCE qui n'aurait qu'un unique mandat de stabilité des prix. Contrairement à la Réserve fédérale américaine qui, en vertu du fameux « dual mandate », se doit en outre de promouvoir la croissance et l'emploi aux États-Unis. Cette discipline fiscale et budgétaire non négociable des nations membres de l'euro devait par la suite largement attiser l'incendie européen ayant fait suite à la crise des subprimes.
Pour autant, les traumatismes de l'hyperinflation ne suffiraient, à eux seuls, à expliquer l'attitude intransigeante des Allemands (et les expéditions punitives contre des pays comme la Grèce) dans le cadre de la longue crise européenne. Il serait en effet instructif de s'intéresser à la période ayant immédiatement succédé à la Seconde Guerre mondiale qui a vu l'émergence de la doctrine « ordrolibérale » caractérisant si bien la politique et le comportement allemands de ces dernières années. Notons d'abord que le keynésianisme n'a jamais eu prise en Allemagne, hormis deux interludes que furent la Grande Coalition entre 1966 et 1969 et le gouvernement Willy Brandt entre 1969 et 1974. Vu d'Allemagne, le miracle économique de l'après-guerre, le « Wirtschaftswunder », est redevable à cet ordrolibéralisme développé par des économistes ouest-allemands comme Walter Eucken, Franz Böhm, Leonhard Miksch et Hans Großmann-Doerth. Doctrine qui vit le jour après la fin de la guerre en réaction à l'interventionnisme nazi et qui rejetait avec horreur l'ingérence de l'État dans l'économie. Les ordrolibéraux allemands récusaient donc en bloc à la fois la tyrannie nationale-socialiste de planification économique en même temps que les expérimentations hasardeuses de l'ère Weimar. À cet effet, les ordolibéralistes optèrent pour carrément constitutionnaliser l'économie afin que toute dérogation aux principes et que toute tentative hétérodoxe soient corrigées devant les tribunaux.
L'économie devenait quasiment une émanation de la philosophie, voire de la théologie ! En effet, tandis que le néolibéralisme britannique rejette toute intrusion de la morale et des sciences sociales dans le jeu économique, l'ordolibéralisme allemand – qui considère que la loi, que la norme sociale et que la science économique sont consubstantielles – ne fait aucun compromis dans l'imposition de règles économiques strictes et non discutables. Dans cette optique, l'État doit non seulement protéger vis-à-vis des entreprises prédatrices, mais il se doit également de protéger les citoyens contre eux-mêmes !
Voilà qui éclaire sous un nouveau jour l'attitude allemande face à la Grèce. Voilà également pourquoi les Allemands n'ont de cesse d'exiger de la part de la France (par exemple) ces fameuses réformes structurelles ainsi que le respect des critères – sacrés pour eux – de Maastricht. De leur point de vue, la violation de ces règles sape les fondements mêmes de l'euro qui se retrouve ainsi compromis par la légèreté de certains membres qui mettraient en danger l'ensemble d'un système qui ne peut tenir – selon leur logique – que grâce à des lois respectées par tous.

La stabilité monétaire est cruciale pour le peuple allemand qui a dû subir deux épisodes d'hyperinflation durant la première moitié du XXe siècle et qui a exigé de la part de la Banque centrale européenne – qui a succédé à la Bundesbank – la même détermination sur ce front. À cet égard, le traité de Maastricht fut d'une part à même de garantir que la nouvelle...

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