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Culture - Poésie

Nohad Salameh :  Les roses et les ronces du chant

Fille du soleil de Baalbeck, épouse du poète Marc Alyn avec lequel elle vit en France, poète de longue carrière, Nohad Salameh vient de publier en France Lilith (*). Ce nom est, au propre, celui d'une entité maléfique sémitique. Il apparaît une seule fois dans la Bible. La Lilith est la personnification d'une démone, une créature des espaces arides et sauvages. Toutefois, dans le panthéon de Nohad Salameh, cette « entité démoniaque » est rachetée ; elle devient le symbole de cet éternel féminin subjugué et en quête perpétuelle de lui-même, d'égalité de destin, de liberté d'aimer.

Son recueil s'ouvre sur le poème qui lui donne son titre ; il comprend aussi des portraits poétiques de femmes aux destins tragiques ; un poème en prose, « correspondance de nuit » ; et un texte dédié à Nadja, Camille Claudel et à toutes celles qui « s'efforcent de lire sans lumière », à mesure que progresse la maladie d'Alzheimer qui efface leur mémoire.

Pour entrer dans l'aventure poétique de Nohad Salameh, il faut prendre le temps de faire connaissance avec les figures littéraires ou artistiques auxquelles des poèmes sont dédiés. Défile alors une galerie de femmes aux destins douloureux, souvent fracassés, qui incarnent quelque chose de la « Lilith » intérieure du poète. Femmes livrées à elles-mêmes dans « la nuit totale de l'Occident » ; femmes ayant poussé le « dérèglement systématique de tous les sens » de Rimbaud jusqu'à la folie ; prêtresses d'une religion libertaire qui sombrent, désarmées, dans l'enfer du manque et de la solitude ; femmes malmenées par une époque tyrannique, stigmatisées, déportées, muselées, trahies ou poussées à s'autodétruire.

 

(Pour mémoire : Nohad Salameh, prix de poésie Paul Verlaine)

 

C'est Unica Zurn qui se suicide au cours d'une sortie autorisée de l'hôpital psychiatrique Sainte-Anne, à Paris. C'est Ingeborg Bachman (1936-1973), poète morte en manque, après avoir été gravement brûlée dans son lit par une cigarette tombée de ses doigts endormis. « Je ne prends plus de drogues, je prends des livres », disait-elle. C'est Milena Jesenka – qu'aima Franz Kafka –, décédée d'épuisement à Ravensbrück. C'est Virginia Woolf qui lesta son manteau de pierres et se jeta dans une rivière, pour épargner à son mari sa dernière folie ; c'est Else Lasker-Schuller, enfant prodige qui, à 4 ans, savait lire et écrire, deux fois abandonnée, enterrée à Jérusalem ; c'est Anna Akhmatova, poète, captive volontaire de la révolution bolchévique ; c'est l'aveugle Angèle Vanier qui écrit un vers inoubliable : « J'ai pris la nuit comme un bateau la mer. »

Il suffit d'un vers pour rendre un poète célèbre ; d'un coup de sonde dans la nuit noire et bleue de la souffrance, pour faire mouche. Virevoltant entre les images ou effleurant de ses pointes la scène du drame, Nohad Salameh est à son sommet quand elle chante cette écriture dont elle a fait sa vie :
« Quel Corps né de ton corps/ tombé de la plus haute branche/ te dévide et t'écrit/ nourri de la somptueuse confluence/ du vivre et du mourir ?/ « À ce point consumée / emmêlée à ta sève/ sous la soie grège des printemps/ tu te tiens au plus près de toi/ doublée par la naissance du verbe/ tandis que sur les rivages de l'encre/ éclosent en gerbes contiguës/ les roses et les ronces du chant. »

Rien n'est insignifiant de ce que nous faisons. Tout est engrangé. Toute œuvre doit être jugée sur sa charge d'éternité. Tout livre, toute lettre d'amour, tout cri de douleur étouffé par le papier ont un sens. Ce sont des airs, des actes, des scènes de « l'opéra fabuleux » qui se joue dans l'univers. Ils sont destinés à faire avancer, ne fut-ce que d'une denture, l'engrenage de cette mystérieuse et étourdissante création.

Lire, c'est entrer dans le secret d'un auteur. Pour gagner la partie contre le chaos, Nohad Salameh a mis de son côté, il me semble, deux ou trois atouts : elle sait faire confiance. Elle sait prendre la mesure des choses. Elle a compassion. Elle a appris à aimer et être aimée. Des choses l'attendent. C'est beaucoup. C'est l'essentiel.

(*) « Lilith », de Nohad Salameh, éditions L'Atelier du Grand Tétras, avec deux lavis de Colette Deblé (disponible dans certaines librairies).

 

 

Pour mémoire

« D’autres annonciations » : 30 ans de poésie de Nohad Salameh

 

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