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Agenda - Hommage au Docteur Georges Yazigi

Le devoir bien accompli


Comme Élie, Henri, René et d'autres amis de mon frère, j'ai commencé à côtoyer Georges à la Cité universitaire de Paris en 1967. L'on se rencontrait souvent en soirée, après une journée de labeur pour acquérir chacun une spécialité utile au pays. Il m'impressionnait par les diplômes qu'il engrangeait l'un après l'autre et qui consolidaient à chaque fois son destin de biologiste : CES de biochimie médicale, CES d'hématologie, CES de bactériologie et de virologie de l'Institut Pasteur...
De retour au Liban et bien que cette panoplie de titres aurait pu lui permettre de prétendre postuler à la direction du laboratoire des meilleurs hôpitaux de Beyrouth, il préférera garder sa liberté totale et ouvrir le sien dans le quartier de Tabaris.
Son démarrage fut fulgurant, mais comme nous tous de sa génération, la guerre de 1976 le rattrapa et il resta, pendant des années, à vaquer quotidiennement à son métier dans ce laboratoire où le seul horizon était une des lignes de front les plus vulnérables de la capitale, où s'empilaient plusieurs containers pour se protéger des francs-tireurs postés sur la tour Murr.
C'est dans ce laboratoire que j'ai vraiment connu cet homme de science d'une simplicité et d'une humilité propres aux grands scientifiques : c'était des moments spéciaux où, après une prise de sang, je passais des minutes précieuses à m'instruire en écoutant ses explications claires et simples.
Au cours de ces séances, il arrivait souvent qu'un patient arrive et demande les résultats de ses analyses. Avec son stylo à la pointe orientée vers le haut, il contrôlait mot par mot, chiffre après chiffre, en les tapotant sur la feuille officielle tapée par son assistante, les résultats obtenus inscrits de sa main sur un registre interne.
Et ce n'est qu'à la fin qu'il retournait son stylo et apposait sa signature. Cette méthode, il me l'a transmise, et je l'applique chaque fois que je relis un rapport délicat.
Il était tellement perfectionniste qu'il lui arrivait, après avoir, ces dernières années, équipé son laboratoire au goût des techniques modernes informatiques, de reprendre manuellement l'essai, comme à ses débuts, quand un résultat lui paraissait sortir des normes.
Quarante ans après son retour de France, il continuait à fréquenter l'Institut Pasteur pour enrichir ses connaissances et les mettre au service de ses patients.
Était-il étonnant dès lors qu'il ait été et est resté, pour beaucoup de médecins, la référence, le dernier recours et le meilleur garant d'une bonne investigation, surtout devant un résultat douteux obtenu ailleurs ?
Mais cet homme de science était un homme de cœur, un grand humaniste, discret, affable, proche des jeunes, fidèle dans l'amitié avec ceux qu'il avait choisis et avec lesquels il aimait partager son seul péché : la bonne chère.
Il supporta avec la solidité d'un croyant les difficultés de santé de ces deux dernières années et ce départ rapide et discret, bien que douloureux pour les siens et pour ses amis, est probablement ce qu'il souhaitait de mieux.
Avec sa disparition, la communauté médicale et le Liban perdent un homme d'une valeur exceptionnelle qui aura servi ses concitoyens sans discontinuité pendant près d'un demi-siècle.
Qu'il repose en paix dans le Seigneur.

Jean B. ESTA

Comme Élie, Henri, René et d'autres amis de mon frère, j'ai commencé à côtoyer Georges à la Cité universitaire de Paris en 1967. L'on se rencontrait souvent en soirée, après une journée de labeur pour acquérir chacun une spécialité utile au pays. Il m'impressionnait par les diplômes qu'il engrangeait l'un après l'autre et qui consolidaient à chaque fois son destin de...